«Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas». Malraux n'a jamais prononcé cette populaire citation, et les récentes manifestations contre Charlie Hebdo dans le monde musulman n'accréditent pas cette thèse. Ni celle d'un choc des civilisations.

Il faut se méfier des idées totalisantes. Les manifestations étaient d'origines variées. Celles au Pakistan s'expliquent d'abord par le fanatisme religieux, mais celle en Tchétchénie a été orchestrée et instrumentalisée par un pouvoir autoritaire.

Cela n'empêche pas l'extrême droite française d'annoncer une collision entre l'Occident et le monde musulman. L'idée est fausse et dangereuse. Il ne faudrait pas la transformer en prophétie qui s'autoréalise. C'était la stratégie de ben Laden et de ses héritiers, qui polarisent pour mieux recruter.

La réalité est plus complexe. La lecture du Coran par les fous d'Allah ne ramène pas, comme on le lit parfois, au Moyen-Âge. Elle se fonde plutôt sur le salafisme violent et le wahhabisme, courants nés au XVIIIe siècle qui prônent une interprétation littérale particulière du Coran.

Ces intégristes n'incarnent pas l'essence de la civilisation musulmane. Au contraire, ils détachent la religion de son histoire et sa culture. Ils se distancient de leur société avec de nouveaux marqueurs de séparation, par exemple vestimentaires. C'est ce qu'Olivier Roy, spécialiste de l'islam politique, nomme la «sainte ignorance».

Cette rupture s'est intensifiée. Les islamistes ne prônent plus de projet social comme celui de la révolution iranienne. Ils ne prônent pas vraiment non plus de projet national. Leurs insuccès au Printemps arabe ont révélé leur éloignement d'une certaine jeunesse libérale, comme en Égypte et en Tunisie.

Les intégristes se replient dans un pur religieux déraciné qu'ils vendent sur le marché des croyances. Ils recrutent dans tous les pays, hors de leur «civilisation». Des spécialistes estiment que de 10 à 20% des combattants d'Al-Qaïda et du groupe État islamique seraient des convertis.

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La lecture littérale est plus facile quand il n'existe pas d'autorité théologique. C'est le cas de l'islam sunnite, mais aussi du protestantisme. Aux États-Unis, des évangélistes rompent avec la culture de leur société, jugée trop séculaire et menaçante. Ces «Jesus Freaks» décérèbrent le parti républicain, sans bien sûr partager le prosélytisme violent des islamistes.

Même si la civilisation musulmane ne forme pas un bloc, certaines craintes sont fondées. Selon le sondeur PEW, dans 32 des 39 pays musulmans, la majorité croit qu'il n'existe qu'une lecture légitime du Coran et que la loi devrait au minimum s'en inspirer. Mais en parallèle, l'inquiétude y augmente face à la violence religieuse, et la nouvelle génération est moins dévote.

Le choc des civilisations, c'est la thèse facile de ceux qui justifient l'exclusion par la peur. Ils oublient qu'il y a plus de musulmans français enrôlés dans l'armée de la République que dans le djihad. C'est ce genre de métissage qu'il faut encourager, entre les incroyants ou les croyants laïcs. Un métissage de la raison.

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