Malgré le troublant rapport sénatorial sur la torture, le prochain président américain pourrait réactiver le programme par décret. L'ex-vice-président Cheney et d'autres républicains le défendent d'ailleurs encore. Mais leur bricolage moral s'effondre sous le poids de ses contradictions.

Le débat oppose les principes aux conséquences. Pour les principes, la cause est entendue. La torture dégrade les victimes et déprave les bourreaux.

Mais l'analyse des conséquences est plus complexe. Certains défendent la torture sous prétexte qu'elle peut sauver des vies, par exemple en révélant un attentat imminent. C'était l'argument de la CIA.

Le rapport le démolit. On y apprend que les informations obtenues sous la torture étaient inutiles ou fausses. Les détenus disaient n'importe quoi pour que la douleur cesse.

Loin d'aider les États-Unis, la torture leur a probablement nui. L'histoire démontre qu'elle se métastase. On finit par l'utiliser par vengeance ou sadisme, comme à Abu Ghraib. Les deux camps sont déshumanisés.

De plus, elle met en danger les Américains à l'étranger, donne des munitions aux autres États qui torturent leurs ennemis, et enfin sert d'outil de recrutement pour les terroristes. C'est ainsi que l'Égyptien Sayyid Qutb, grand-père spirituel de Ben Laden, s'était radicalisé en prison.

Les partisans de la torture n'ont tout de même pas été convaincus par le rapport, rédigé par des démocrates. Pour eux, il existe encore un «si». C'est la fameuse hypothèse de la bombe à retardement: une bombe est sur le point d'exploser sur Times Square. Un détenu possède une information qui permettrait de la désamorcer, et il refuse de parler...

Si on accepte de tuer au nom de la légitime défense, pourquoi ne pas torturer pour sauver des innocents? C'est le calcul utilitaire proposé entre autres par le juriste Alan Dershowitz. Selon lui, la politique ne consisterait pas à choisir entre une bonne et une mauvaise solution. Ce serait plutôt le choix du moins néfaste.

Ces apologistes de la torture réfléchissent dans les hauteurs de l'abstraction théorique. Le rapport sénatorial les ramène au niveau du plancher. Dans la réalité, là où la certitude n'existe pas.

Les interrogateurs ignorent beaucoup de choses: si la menace est réelle et imminente, si le détenu possède l'information cherchée et s'il l'a toute dite, ou s'il faut continuer à le faire souffrir. La seule certitude, c'est l'inhumanité de la torture. Curieusement, la réhydratation rectale ou la simulation de noyade n'apparaissent jamais dans les arguties des théoriciens...

En plus des problèmes pratiques, l'hypothèse de la bombe à retardement comporte un second problème: elle ne s'est jamais posée, à part dans des téléséries comme 24. D'ailleurs, le doyen de l'Académie militaire West Point a déjà demandé en vain aux producteurs de ne plus inventer ces scénarios farfelus.

Peut-être, un jour, que l'hypothèse improbable de la bombe à retardement se posera. L'histoire jugerait alors le bourreau. Mais cautionner la torture, même sous des circonstances extrêmes, c'est aussi cautionner les dérives.

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