Le problème informatique est devenu si vaste qu'il faut se tourner vers les étoiles pour le comprendre. C'est un trou noir qui aspire maintenant près de trois milliards par année, et le récent jeu de chaise musicale ne suffira pas à régler le problème.

La semaine dernière, le dirigeant principal de l'information (DPI), Jean-Guy Lemieux, a dû « se démissionner » à cause d'un conflit d'intérêts. Il avait omis de mentionner que son frère était vice-président de CGI, un grand receveur de contrats publics. M. Lemieux avait été nommé il y a seulement un mois. Il est remplacé par intérim par le haut fonctionnaire Yves Ouellet.

Peu importe le patron, nettoyer les écuries sera difficile. Le problème structurel est immense, comme l'a démontré le vérificateur général en 2012 dans un rapport dévastateur. Québec sous-traite au privé la majorité ses contrats (55 %), sans bien définir ses besoins, évaluer les coûts ou assurer une concurrence minimale. La firme qui définit les besoins récolte même parfois le contrat. La facture explose donc.

Par exemple, le projet SAGIR (Solutions d'affaires en gestion intégrée des ressources) risque de coûter plus d'un milliard, soit 10 fois plus que l'estimation initiale. Et il n'est pas encore terminé...

Cette perte de contrôle est aussi aggravée par la gestion par projet, malheureusement préférée à la gestion par résultat. Quand la facture n'est pas liée à l'atteinte du résultat, les heures travaillées ont tendance à se décupler.

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Deux grandes causes expliquent ce dérapage : la conception du réseau et le manque d'expertise de l'État.

Pour développer des logiciels et programmes, il est normal de recourir au privé, spécialisé dans l'innovation. Mais l'État devrait assurer davantage la gestion stratégique du réseau, ainsi que son entretien. Il en est toutefois incapable. L'expertise du secteur public n'a jamais été à la hauteur de la révolution technologique qui s'opère depuis deux décennies.

Selon le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), il faudrait créer 1500 postes. Évaluer ce chiffre est difficile, car le problème ne se réduit pas au nombre d'employés. Il résulte aussi de la décentralisation bordélique du réseau. Chaque ministère ou organisme peut choisir ses outils numériques. Québec ne peut donc pas négocier des prix d'achat de groupe. Et plus le réseau compte de logiciels, plus il faut de gens pour l'entretenir. Ce capharnaüm gaspille à la fois de l'argent et de la main-d'oeuvre.

Le problème ne fait que commencer. Comme nos routes, notre réseau informatique se dégrade. Pour les prochains achats, il faudra donner enfin une chance aux logiciels libres. Depuis 2011, une loi oblige Québec à les rendre éligibles aux appels d'offres. Mais elle est depuis contournée par décret, car il manque d'expertise pour gérer ce virage. Le précédent gouvernement a eu la bonne idée de créer deux centres spécialisés en logiciels libres (Chicoutimi et Rimouski), mais beaucoup reste encore à faire.

Pour l'instant, Québec continue de négocier sans véritable expertise ni stratégie d'ensemble. Bref, sans rapport de force. Or, c'est rarement à genoux qu'on obtient ce qu'on veut.

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