Il faudrait s'étonner plus souvent. Par exemple, pourquoi le Canada a-t-il prohibé l'opium en 1908, puis la marijuana en 1923? La réponse n'est pas jolie. C'était en partie pour régler le «problème» chinois et afro-américain*.

La science était peu invoquée à l'époque. Et elle l'est encore moins aujourd'hui. Car si on l'écoutait, on mettrait fin à la prohibition, un échec lamentable.

Le modèle répressif s'appuie sur une vision puritaine. En 1998, l'ONU promettait encore l'avènement d'un «monde sans drogue». Le bien n'a pas encore triomphé.

Il faut renverser l'approche. La drogue ne disparaîtra pas. Le but doit être d'en limiter les dégâts. Selon une estimation de l'ONU, la consommation de drogues illégales n'est problématique que pour environ 10% des usagers. Nos politiques doivent s'adresser à eux. En les soignant au lieu de les criminaliser. Et en ne laissant plus le crime organisé en profiter.

Cette vision est bien articulée dans le récent rapport de la Commission globale de politique en matière de drogue de l'ONU. L'idée percolait déjà en 2011 dans leur précédent rapport. Elle figure aussi reprise dans une étude publiée cette année par un groupe d'experts de la London School of Economics.

La prohibition échoue à ses trois objectifs. D'abord, stopper la production. Depuis la guerre totale lancée par le président américain Nixon il y a plus de 40 ans, plus de 1 trillion de dollars ont été engloutis dans cette lutte absurde. Mais l'offre planétaire n'a pas diminué.

Elle n'a pas non plus ralenti la vente, et cet échec grandira avec l'émergence du web caché (deep et darkweb). Les effets pervers de la chasse aux trafiquants sont quant à eux bien documentés. Aux États-Unis, le financement des polices municipales est lié aux arrestations de trafiquants. Les policiers ciblent les petits pions, souvent afro-américains, qui opèrent dehors. Le profilage racial augmente, et les policiers se militarisent.

Enfin, la prohibition n'a pas d'effet dissuasif mesuré. Elle échoue à freiner la consommation, et aussi à en atténuer l'impact sur la santé. La drogue illégale est parfois coupée avec de l'anthrax ou des vermifuges. Et ces drogues dures sont injectées en cachette. Cela augmente les surdoses, l'utilisation de seringues usées et la transmission de maladies comme le VIH.

Comme le recommande le rapport onusien, il faut commencer par décriminaliser la possession des petites quantités de drogue, comme le fait notamment déjà le Portugal. Les héroïnomanes comparaissent plutôt devant un comité, qui les aide à se guérir. Le Vermont s'inspire maintenant aussi de ce modèle.

Ensuite, il faudra règlementer chaque drogue en fonction de sa dangerosité. Cela n'équivaut pas à un laisser-aller. Au contraire, c'est justement parce qu'une drogue est dangereuse qu'on doit en contrôler strictement la production et la vente, par exemple en exigeant une ordonnance médicale.

Ces réformes urgent dans les pays moins développés, mais seraient aussi nécessaires au Canada. Elles devront se faire prudemment, par étapes, en commençant avec les drogues moins nocives, et en s'inspirant des modèles déjà testés dans divers pays.

Il faudra avoir le courage d'admettre que la meilleure solution, c'est la «moins mauvaise».

* NOTE: La campagne contre la marijuana était notamment menée par Emily Murphy, première femme juge du Canada. Mme Murphy fut aussi une pionnière pour les droits des femmes.

Source: Panic and Indifference: The Politics of Canada's Drug Laws, de Giffen, Endicott and Lambert, 1991. Du Canadian Centre on Substance Abuse.

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