Un journaliste canado-égyptien croupit en prison, mais Ottawa reste étrangement discret. Le ministre des Affaires étrangères, John Baird, dit vouloir éviter la diplomatie du mégaphone. Il réussit si bien qu'on l'entend peu, et qu'on comprend mal ce qu'il veut dire.

La situation est pourtant sérieuse. Trois journalistes d'Al-Jazira, dont le Canado-Égyptien Mohamed Fahmy, ont été reconnus coupables lundi de menace à la sécurité nationale, à cause de leur prétendu soutien aux Frères musulmans. M. Fahmy, ancien collaborateur de CNN et du New York Times, purgera une peine de prison de sept ans.

De l'avis de tous les observateurs, le procès était une farce. Ces reporters ressemblent à des pions pris malgré eux dans une lutte géopolitique. Al-Jazira est financé par le Qatar, proche des Frères musulmans, ennemis jurés du nouveau régime militaire égyptien. C'est eux que le procès visait à affaiblir. La chaîne anglaise d'Al-Jazira, pour laquelle travaillait M. Fahmy, a toutefois une couverture réputée beaucoup plus équilibrée que celle de la chaîne locale arabe.

En 2012, M. Baird se disait «gravement préoccupé» par l'emprisonnement en Iran du citoyen canadien Hamid Ghassemi-Shall. Il «exhortait» l'Iran à faire «instamment» marche arrière.

Cette semaine, les États-Unis et l'Australie ont utilisé un langage semblable face à l'Égypte. M. Baird a quant à lui laissé une ministre junior réagir par voie de communiqué. Le Canada s'y disait «très déçu». Un porte-parole a ajouté à la télévision ne pas vouloir froisser le régime égyptien.

Contrairement à ses alliés, M. Baird n'a pas appelé son homologue égyptien pour se plaindre. Il avait déjà exprimé ses inquiétudes en personne ce printemps durant le procès, s'est-il défendu.

Personne ne croit que M. Fahmy serait sauvé si le ministre déchirait sa chemise devant les caméras. Le Canada reste un joueur secondaire dans la région. Et même l'indignation du poids lourd américain n'a pas sauvé les condamnés, qui n'espèrent plus qu'une improbable victoire en appel, ou le pardon du président Al-Sissi.

Mais la réaction timorée du Canada pose néanmoins problème. Elle détonne par rapport à la dénonciation plus musclée de ses alliés. Elle manque aussi de cohérence par rapport à ses positions passées. D'autant plus qu'il y a ici un facteur aggravant: on s'attaque à des individus, mais aussi à un principe, la liberté de presse.

Ce qui amène à poser la question suivante: pourquoi cette retenue? Pour l'instant, il n'y a que des hypothèses. Peut-être que le gouvernement conservateur veut se rapprocher de l'Arabie Saoudite, en conflit avec le Qatar. Peut-être dispose-t-il d'informations sur les accusés. Ou il pourrait vouloir donner une autre chance à la jeune dictature militaire, même si elle a déjà condamné à mort plus de 1000 citoyens cette année.

En attendant de comprendre la stratégie, des journalistes croupissent en prison.

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