Quand des intervenants de centres jeunesse en sont rendus à rémunérer des jeunes 9 $ par semaine s'ils ne fuguent pas, c'est dire tout le désarroi et l'impuissance.

C'est dire aussi l'échec de la Direction de la protection de la jeunesse à remplir son mandat : protéger les jeunes sous sa responsabilité, même, et surtout, ceux qui fuguent à répétition.

On a beaucoup parlé de ces adolescentes vulnérables qui s'amourachent d'un proxénète et qui se retrouvent dans le cercle vicieux de la prostitution, de la drogue et des motels miteux.

On parle peu des garçons, encore plus nombreux à fuguer. Des adolescents à peine sortis de l'enfance, qui ont 30, 40, 60 fugues à leur actif, comme ceux que notre collègue Katia Gagnon a rencontrés à Cité des Prairies . C'est le terminus, l'ultime endroit qui accueille ces jeunes multipoqués.

Difficile de rester impassible devant le cri du coeur des intervenants, impuissants à mettre en place un processus de réadaptation auprès de ces fugueurs chroniques puisqu'ils passent des jours, des semaines, voire des mois à l'extérieur, où ils s'enfoncent toujours davantage.

Le gouvernement promet un plan d'action global et concerté pour l'automne. Voilà un signe encourageant... mais un tel plan était déjà promis pour 2014. Force est d'admettre qu'on n'a guère avancé depuis deux ans.

Pourtant, la problématique liée aux centres jeunesse et au recrutement de jeunes prostitués est connue et documentée depuis plusieurs années.

En 2012, le Conseil du statut de la femme sonnait l'alarme. L'année suivante, un comité sur l'exploitation sexuelle regroupant plusieurs ministères rencontrait près de 200 organismes et une dizaine d'experts. La synthèse de leurs travaux est sans équivoque : «les centres jeunesse sont des lieux privilégiés de recrutement de mineures», «les médias sociaux et internet sont devenus des outils de recrutement très efficaces».

Le mois dernier, dans l'urgence des fugues médiatisées au centre jeunesse de Laval, Québec a confié un mandat au vérificateur André Lebon. Ô surprise, son rapport dresse un constat similaire.

Idéalement, il faudra agir sur trois fronts : la prévention, la réadaptation et la répression (en s'attaquant aux proxénètes et aux clients).

Mais faut-il vraiment attendre un plan d'action complet et étoffé avant de mieux épauler les intervenants dans les centres jeunesse et éviter que les jeunes en détresse ne prennent la clé des champs ?

Le rapport Lebon propose de créer une unité transitoire, à mi-chemin entre les unités de vie où les jeunes circulent librement et l'encadrement intensif réservé pour des interventions exceptionnelles. Des intervenants proposent aussi cette idée. Même la ministre Lucie Charlebois a montré de l'intérêt pour cette solution.

Ce serait un début.

Car malheureusement, la solution magique n'existe pas. Ce serait trop simple de seulement verrouiller les portes des centres jeunesse. Ce serait oublier que la loi a été changée en 2007, justement parce que cette méthode brimait les droits et libertés des adolescents.

Si, auparavant, on misait trop sur la coercition, le balancier est aujourd'hui allé trop loin dans l'autre sens. On a franchi depuis longtemps le seuil de la permissivité pour celui de la passivité. Et plus on tarde à agir, plus des mineurs en subissent de lourdes conséquences.