La crise qui se joue à Val-d'Or ébranle tout le Québec, mais c'est à Ottawa de mettre fin aux horreurs endurées par les peuples autochtones. C'est l'histoire d'un pays et non d'une seule province.

Le premier ministre désigné, Justin Trudeau, a en main tous les éléments pour faire en sorte que la question autochtone devienne une réelle préoccupation pour son gouvernement. Il doit prendre ce leadership.

Deux occasions s'offrent à lui pour envoyer un signal fort - ou pas - sur ses intentions. D'abord, il sera intéressant de voir qui héritera du portefeuille des Affaires autochtones. Ensuite, il faudra voir à quel moment Justin Trudeau entend déclencher une commission d'enquête sur la disparition ou le meurtre de 1200 femmes autochtones au pays, lui qui a promis d'agir « rapidement ».

Les cas allégués d'agressions et d'abus de pouvoir à l'endroit de femmes autochtones de Val-d'Or par des policiers de la Sûreté du Québec choquent les Québécois. Avec raison.

Ces gestes vont à l'encontre du fondement d'une institution dont la mission est de défendre et protéger les plus faibles. « Nous vivons une véritable crise », a lancé le chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, réclamant l'intervention du premier ministre Philippe Couillard.

Le gouvernement provincial a le devoir d'agir et de faire la lumière sur cette affaire. Mais l'ultime responsabilité en ce qui a trait aux conditions de vie des autochtones revient à Ottawa, responsable notamment de la Loi sur les Indiens.

Car il ne faut pas l'oublier, l'élément de départ du reportage d'Enquête est la disparition de Sindy Ruperthouse, une (autre) femme autochtone dont on est sans nouvelles depuis 17 mois. Ses proches prétendent que toutes les énergies nécessaires n'ont pas été mises pour élucider ce dossier. Le même discours, troublant, que celui entendu maintes fois à travers le Canada au fil des ans.

Cette fois, c'est au tour du Québec d'affronter la colère, la tristesse, la honte. Peut-être parce qu'on entend généralement parler de femmes disparues, de femmes qui n'ont pas de voix et dont les visages s'estompent peu à peu des mémoires. Aujourd'hui, on voit plutôt des femmes qui osent prendre la parole à visage découvert, qui racontent la misère, le mépris, la détresse. Leur témoignage poignant force une prise de conscience.

Mais pour combien de temps ? Quel autre événement bousculera l'actualité et fera en sorte que, collectivement, nous détournerons les yeux ?

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Si les révélations actuelles nous bouleversent, la question autochtone se bute à l'indifférence, au racisme et aux préjugés depuis longtemps. Ces destins tragiques suivent le même fil conducteur, bien documenté :

1996

La Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones donne lieu à 400 recommandations dont la majorité est restée lettre morte.

2011

L'ancienne vérificatrice générale Sheila Fraser dresse un bilan catastrophique de la dernière décennie sur les conditions de vie des autochtones.

2013

Le mouvement Idle No More voit le jour, donnant lieu à des manifestations pacifiques pour défendre les revendications autochtones.

2014

Le rapporteur officiel de l'ONU sur les autochtones, James Anaya, constate que l'écart sur le bien-être entre autochtones et non-autochtones n'a pas diminué depuis 2004, évoquant des « conditions socioéconomiques désolantes. »

La GRC divulgue un rapport désolant estimant que 1200 femmes autochtones ont disparu ou ont été tuées entre 1980 et 2012.

2015

Le rapport du Vérificateur général, à Ottawa, s'inquiète de la qualité de vie dans les réserves. La Commission de vérité et réconciliation publie son rapport faisant la lumière sur la triste histoire des pensionnats. Elle émet 94 recommandations.

Que faudra-t-il de plus pour agir ?

On y revient toujours. Plusieurs communautés autochtones vivent dans des conditions dignes du tiers-monde. Logements surpeuplés, insalubres, problèmes d'eau potable, lacunes criantes en éducation, en santé. Des conditions qui exacerbent les problèmes sociaux, entraînant dans leur sillage violence, itinérance, criminalité, consommation, suicide. Une enquête de La Presse révélait récemment que le taux de morts suspectes est près de quatre fois plus élevé chez les jeunes autochtones que chez les autres jeunes Québécois. C'est inacceptable.

Quand Michèle Audette, ancienne présidente de l'Association des femmes autochtones du Canada et candidate libérale défaite, confie que toutes les femmes de sa génération ont vu leur « âme volée », quand on sait que 80 % des femmes autochtones ont été abusées ou agressées, on comprend qu'elles demeurent les plus grandes victimes.

Mais ces victimes deviennent un vecteur de changement quand elles prennent la parole pour dénoncer. Ottawa a l'obligation de les écouter et d'agir.