Tous les 15 jours durant 26 semaines, environ 40 000 personnes recevront une lettre signée Martha, un personnage de femme âgée dans la soixantaine imaginée par l'écrivaine Marie Laberge. Chaque lecteur a déboursé 32,75$ pour s'abonner à ce feuilleton épistolaire. L'expérience de Mme Laberge est intéressante à plusieurs égards. En choisissant d'éliminer les intermédiaires entre elle et son lectorat, l'auteure contourne le processus habituel de production d'un livre.

Résultat: une grosse différence quant aux droits d'auteur.

Dans la chaîne traditionnelle, la répartition des revenus va à peu près ainsi: l'éditeur récolte 13%, le distributeur 17%, l'imprimeur 20% et le libraire 40%. L'auteur est celui qui reçoit le moins: une maigre pat de 10%, un peu plus s'il est vraiment très connu.

 

Mme Laberge a déclaré qu'elle n'avait pas l'intention de cesser de publier des livres chez un éditeur. Cela dit, son pari - et le succès qu'il remporte - soulève des questions fort pertinentes.

En effet, la popularité des lettres de Martha montre l'ouverture d'esprit des lecteurs qui, visiblement, sont prêts à tenter de nouvelles expériences. Peut-être ouvre-t-elle la voie à d'autres tentatives? Jusqu'ici, le monde du livre est demeuré assez rigide, imperméable en fait aux innovations et aux nouvelles idées. Ce feuilleton montre qu'il y a une petite place pour l'expérimentation. Souhaitons que d'autres écrivains-vedettes tentent eux aussi leur chance avec un projet novateur et surprenant.

Bien sûr, tous les écrivains n'ont pas la notoriété de Mme Laberge. C'est une auteure qui peut compter sur la fidélité de milliers d'admirateurs. La plupart des écrivains québécois ne connaissent pas un tel succès. On le sait, ce sont les quelques auteurs de best-sellers (Marie Laberge mais aussi Michel Tremblay, Ricardo, le Dr Béliveau, etc.) qui permettent à un éditeur de prendre des risques en publiant des auteurs moins connus. Peut-être faudrait-il revoir cette structure bancale afin que la survie d'une maison d'édition ne repose pas sur une poignée d'individus?

Grâce à l'évolution des moyens technologiques, plusieurs possibilités s'offrent désormais à l'industrie: l'édition en ligne et l'impression sur demande sont autant d'avenues qui jusqu'ici, ont été explorées par des écrivains plutôt confidentiels (à l'exception de certaines tentatives, dont celle de Stephen King, qui n'a pas donné les résultats escomptés). Nous en sommes encore aux balbutiements, avec le livre électronique notamment. Mais il est clair que la technologie permet plus de souplesse et réduit considérablement les coûts de production et de distribution. Cette voie devrait se développer davantage au cours des prochaines années.

Cela dit, l'aspect le plus important de l'expérience de Marie Laberge, c'est qu'elle redonne le pouvoir à l'écrivain, au créateur. Après tout, c'est l'auteur qui a l'idée d'un livre, qui s'échine sur sa table de travail, qui cherche, qui doute, qui sue... Et à la fin c'est celui qui retire le moins de la vente de son livre. Ce n'est pas normal.

nathalie.collard@lapresse.ca