La France vit ces jours-ci le millième rebondissement de l'affaire Dieudonné, qui dure depuis dix ans et n'est pas près de s'éteindre. Elle chatouille en effet une corde sensible, l'antisémitisme, dans un pays qui a mauvaise conscience en cette matière. Et elle est tout bénéfice pour le principal intéressé.

Le nouveau spectacle de l'humoriste, Le Mur, est, ou sera, donc interdit dans plusieurs villes de l'Hexagone, conformément à une circulaire du ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, endossée par le président François Hollande. Sans nommer Dieudonné, celui-ci recommande d'être «vigilants et inflexibles face à l'antisémitisme et aux troubles à l'ordre public que suscitent des provocations indignes».

Le hic, c'est que rien, pas plus cette rebuffade que les autres démêlés judiciaires qu'il a vécus, ne fera déroger Dieudonné M'bala M'bala du plan de carrière qu'il s'est donné. Un plan dont la ligne directrice est justement celle de la plus extrême provocation.

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De Chris Ofili (et sa Sainte Vierge Marie à la crotte d'éléphant, 1996) à Miley Cyrus, le monde de la culture a depuis longtemps compris que le chemin le plus direct vers le succès est celui du scandale. C'est donc la route choisie par l'humoriste français, incapable de la moindre originalité tant dans ses calculs arrivistes que dans les idées - pour les nommer ainsi - qu'il soumet.

Il est passé de l'extrême gauche à l'extrême droite: c'est courant, les deux doctrines étant jumelles. Il professe une haine inextinguible à l'endroit d'Israël et des États-Unis, ce qui est plus banal encore. Il s'est lié à Mahmoud Ahmadinejad - vieille technique de racolage par fréquentation de l'infréquentable: voir la lune de miel de Kim Jong-un et du basketteur Dennis Rodman. Bien entendu, il sympathise avec les truthers du 11 septembre 2001. Sa seule trouvaille est la «quenelle», un geste du bras qui rappelle fâcheusement le salut nazi.

En fait, ce qui frappe le plus chez Dieudonné, c'est sa totale irresponsabilité.

À ce qu'on en sait (Le Point a mis en ligne des extraits sonores), son dernier spectacle atteint un sommet à ce point de vue, remuant des sentiments antisémites dégoûtants qui, hélas! , trouvent leur public: hommes au crâne rasé, jeunesse des banlieues, enfants de l'immigration, qui seront peut-être tentés un jour de traduire en actes les paroles de leur idole.

Cela dit, la censure, en particulier préventive comme dans ce cas-ci, est-elle la solution?

Il faut bien y réfléchir. Car il s'agit d'une arme dangereuse, dont plusieurs réclament l'usage à leur profit - y compris chez nous. Et c'est un piège qui, lorsque posé par un martyr autoproclamé, a tendance à se refermer sur les censeurs. Dieudonné aura eu la diabolique habileté de placer la société dans une position où la victoire simultanée de la responsabilité, de la décence et de la liberté semble impossible.