En 1970, Yvon Deschamps semblait pressentir une révolution de l'information. Décrivant le massacre (imaginaire) provoqué par un chauffard qui projetait un essaim de piétons dans les airs, l'humoriste reprochait à la télé d'être «arrivée un peu en retard, on les a juste vus retomber» ! En 1980, CNN entrait en ondes en misant sur l'instantanéité...

La chaîne d'info continue d'Atlanta a presque un quart de siècle et la formule a été reprise dans le monde entier. On a donc appris à vivre avec ses qualités, ses défauts et ses dommages collatéraux: le fait, par exemple, qu'elle ait imposé son rythme effréné aux autres médias. De sorte que l'information-minute nous est devenue indispensable.

En sera-t-il de même pour le produit d'une deuxième révolution de l'information, celle des médias sociaux et de l'opinion-minute?

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Il y a quelques jours, un étudiant a immortalisé la démarche d'un policier montréalais prévenant un sans-abri qu'en cas d'inconduite, il allait l'«attacher au poteau pendant une heure» [sic]. En moins de deux, la vidéo s'est retrouvée partout avec son court éditorial plaqué sur les dernières images: «C'est des menaces que vous n'avez pas le droit de faire!», lance le citoyen au policier.

Verdict prononcé sans procès, fondé sur l'ignorance des circonstances larges, dépourvu de recul, instantanément suivi de mille commentaires sur toutes les plateformes.

Ce fut le triomphe de l'opinion-minute.

Les médias sociaux (blogues, Facebook, Twitter, YouTube, etc.) ont pris leur véritable envol il y a 10 ans à peine, tout comme l'outil privilégié pour les nourrir et y accéder, le téléphone intelligent. Or, leur effet direct sur l'information est plus considérable encore que dans le cas de CNN et compagnie.

Le premier de ces effets est la victoire de l'opinion sur les faits, remarquable dans le nouveau partage de l'espace (papier ou web) et du temps d'antenne dévolus à l'une et aux autres.

Le deuxième réside dans la vitesse pure: on peut dorénavant accéder à une gamme presque infinie d'opinions sur un événement qui n'est pas encore parvenu à sa conclusion... ou même, on a déjà vu ça, qui ne s'est pas encore produit!

Troisième conséquence: la baisse de niveau du débat public. «Il faut se prononcer rapidement et multiplier les opinions sur tout et n'importe quoi. On espérait élargir les frontières de l'agora, on l'a transformée en taverne», note le sociologue Mathieu Bock-Côté dans Exercices politiques. Inutile de rappeler le plongeon des médias sociaux dans l'injure, le mépris et la haine, illustré de splendide façon lors de la crise étudiante de 2012. Il est plus troublant de constater que les médias traditionnels sont désormais assaillis par la tentation d'en faire autant et n'y résistent pas toujours.

On ne désinventera ni CNN ni Twitter. Mais il n'est écrit nulle part qu'il faille adopter tous leurs travers.