Entre Noël et le jour de l'An, la radio passe du Minuit, chrétiens et des Anges dans nos campagnes à La danse à Saint-Dilon de Vigneault et à La bastringue de La Bolduc. Question de bien signifier que les festivités changent de registre, du religieux au païen, des grandes orgues au violon, de la messe de minuit à la veillée dite du «bon vieux temps».

Bref, pendant 10 jours, on a l'impression de vivre dans de vieilles gravures d'Edmond-Joseph Massicotte!

Pourtant, il n'y a plus depuis longtemps de survivants de l'époque (en gros, le XIXe siècle) qu'a documentée l'illustrateur. Mary Travers n'est plus de ce monde depuis 1941. Et plus personne ne croit aux anges, dans les campagnes ou ailleurs. Mais ça ne change rien à l'affaire, à cette tradition liée à la période des Fêtes que le passage des ans ne parvient pas à éteindre: la référence émue au passé, le bain annuel de nostalgie.

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Quelle bête étrange que la nostalgie.

Elle est à la fois une potion qui anesthésie la souffrance du jour et un verre déformant qui transforme le passé. Vivre ici et maintenant est toujours un peu douloureux, en effet, parce que la vie n'est parfaite pour personne et que, pour ajouter à la peine, aucune voix n'est plus omniprésente aujourd'hui que celle des esprits éclairés nous ordonnant de détester la modernité. Par contraste, il est facile de prêter au passé (en particulier celui qu'aucun de nous n'a vraiment connu!) toutes les vertus, toutes les joies, tous les bonheurs.

Revoyons les oeuvres de Massicotte.

Les convives rieurs de son Réveillon de Noël étaient probablement dans la vraie vie moins nombreux autour d'une table sûrement moins garnie: 200 000 Canadiens français ont émigré aux États-Unis entre 1862 et 1871, chassés par la misère. Le plancher de danse de La Veillée d'autrefois devait être moins animé, peuplé d'hommes et d'enfants s'épuisant à la ferme ou abattant des semaines de 72 heures à l'usine. Les femmes agenouillées pour La prière en famille, esclaves du clergé et du foyer, accouchaient de sept enfants en moyenne, plusieurs décédant à peine nés. Le vénérable grand-père de La bénédiction du jour de l'An est largement une fiction: l'espérance de vie à la naissance des hommes québécois ne dépassait pas alors de beaucoup les 40 ans...

On sait tout ça, bien sûr.

Aussi, lorsque chacun évoque en son for intérieur le «bon vieux temps», ce n'est pas au XIXe siècle de Massicotte qu'il songe. Il se remémore plutôt son enfance et son adolescence à lui qui, sauf exception, prennent fière allure avec le recul, peu importe l'époque et le milieu où chacun les a vécues. La nostalgie est une petite euphorie douce-amère très personnelle, dont on nie souvent la fréquentation comme pour un plaisir coupable et dont on sait qu'elle nous ramène à un temps qui n'était probablement pas si paradisiaque.

Mais ce n'est pas une raison pour s'en priver.