C'est en 1982 que le dessinateur Claude Robinson a créé les premières esquisses de son projet. Mais c'est seulement hier, après des décennies de travail puis d'une épuisante saga judiciaire, qu'il a été définitivement reconnu comme le « père » de son oeuvre.

Cela compte.

La Cour suprême du Canada a en effet statué que les dommages subis par l'artiste consistent au premier chef en la privation «de son sentiment de paternité et de contrôle sur un projet auquel il attribuait une valeur presque indicible».

Depuis 1995, Robinson a dû engloutir trois millions de dollars dans l'affaire. Le plus haut tribunal du pays lui octroie maintenant quatre millions ainsi que des frais éventuels... sous réserve qu'il puisse récupérer ces sommes de la poignée de plagiaires impliqués dans l'affaire.

Sur son île, Robinson Curiosité, la créature de l'artiste rebaptisée Sucroë par ceux qui se la sont appropriée, devra donc lutter encore.

On ne vantera jamais assez la détermination et la persévérance de Claude Robinson. Un homme qui a été l'objet de «mépris», notamment de la part des bonzes de la firme Cinar, Ronald Weinberg et Micheline Charest (décédée il y a neuf ans), lesquels « ont violé un droit d'auteur de manière intentionnelle et calculée » tout en le niant et en insinuant «que M. Robinson n'était qu'un excentrique en quête d'attention», statue la Cour suprême.

Le fait est que la victime de cette version moderne du combat entre David et Goliath a rapidement emporté la sympathie populaire, comme des collectes de fonds en sa faveur l'ont prouvé.

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Et cette sympathie grandira peut-être encore.

Au bénéfice de tous, en effet, Robinson aura livré bien malgré lui la plus irréfutable démonstration du caractère quasi-inaccessible du monstrueux appareil de la Justice.

Au bas de l'échelle, l'aide juridique assiste ceux qui sont dans la misère (le 1er janvier, le revenu maximum admissible sera de 16 306$ pour une personne seule). La Cour des petites créances est un recours dans les cas où les sommes en litige ne dépassent pas 7000$. Mais pour tous les autres et pour tout le reste, la Justice est un luxe que bien peu de citoyens peuvent se payer.

En matière civile ou familiale, deux jours de procès peuvent coûter en moyenne 37 229$; sept jours d'audience, 124 574$ ! Et on n'ose pas parler de procédures d'appel... Même au sein de la classe moyenne supérieure, une telle bombe financière peut mener tout droit à la faillite, sans parler du temps consommé par un système qui, engorgé, ne procède qu'à pas de tortue.

Résultat : devant la Justice, plus de 65% des Canadiens se sentent impuissants, mal informés, financièrement ligotés et... terrorisés (selon une étude du Comité d'action sur l'accès à la justice en matière civile et familiale, octobre 2013).

Si le mot « justice » doit encore avoir un sens, c'est un problème auquel il faudra s'attaquer.