Québec compte légiférer, en février, sur ce qu'il est convenu d'appeler le «prix unique» du livre. La loi décrétera que les nouvelles parutions seront interdites de rabais supérieur à 10% au cours des neuf premiers mois de leur mise en vente. Il s'agit, on le sait, de sortir du marché les grandes surfaces, qui consentent des rabais plus importants sur un nombre restreint de titres populaires. Et ce, espère-t-on, au profit des libraires indépendants.

L'idée n'est pas neuve. Elle s'inspire de la loi française adoptée en 1981. Et, l'édition québécoise étant organiquement liée à celle de la métropole d'outre-Atlantique, les pressions exercées dans le but de pousser le gouvernement du Québec à faire de même durent depuis plus de trois décennies.

Or, il s'agit essentiellement de cimenter un rang de pierre de plus au sommet du rempart qui ceint la forteresse assiégée de la chaîne traditionnelle - et sacrée! - du livre.

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On ne reprendra pas les arguments plaidés de part et d'autre dans ce dossier. Ils ont été exposés jusqu'à plus soif, notamment dans cette colonne.

En 2013, la situation est simplement celle-ci: le prix unique est une solution apportée à un problème en train de s'évanouir, enseveli sous d'autres beaucoup plus sérieux. En août dernier, la commission parlementaire qui a fouillé le sujet en avait identifié quelques-uns et le principe de réalité en impose quelques autres.

Un: les Québécois lisent peu de livres. Moins encore qu'avant (les ventes ont considérablement diminué depuis 2008). Souvent parce qu'ils en sont incapables: le taux d'illettrisme fonctionnel flotte autour de 50%! Il s'agit du problème fondamental, structurel. Et c'est la cage du ministère de l'Éducation qu'il faut énergiquement secouer, non la tirelire du lecteur occasionnel qui mélange les livres et les petits pois chez Costco ou Walmart.

Deux: ça ne marchera pas. Pourquoi? Parce que les gens dont nous venons de parler ne se précipiteront pas chez le libraire indépendant. Parce qu'ailleurs, l'efficacité du prix unique n'est pas aussi claire qu'on le prétend: en France, les libraires ont dû encore récemment se pourvoir des secours directs de l'État. Enfin et surtout, parce que la vente en ligne et la distribution numérique du livre, un commerce sans frontières, vont graduellement prendre dans le monde de l'édition une place équivalente à celle qu'elles occupent dans celui de la musique enregistrée.

Soyons positifs.

Le ministre de la Culture, Maka Kotto, a prévu une période de trois ans pour évaluer les retombées réelles de la loi. Suggestion? On pourrait aussi en profiter pour étudier le modus operandi des libraires indépendants qui survivent et même prospèrent. Car il y en aura toujours, prix unique ou pas. Il s'agit et s'agira de ceux qui ne craignent pas d'abaisser le pont-levis et de se fondre dans l'univers qui évolue à la vitesse grand V autour d'eux.