Deux grands du cinéma québécois, Arthur Lamothe et Michel Brault, sont disparus au cours des derniers jours. Du second, Denis Villeneuve dit (au Soleil): «Je me suis rendu compte profondément comment Michel Brault m'accompagnait... Dans la façon d'appréhender la réalité, de trouver une force dans la sobriété».

Villeneuve n'est plus un «jeune cinéaste prometteur», comme on le dit parfois un peu trop généreusement. Il est devenu un grand à son tour. Le plus grand que nous avons en ce moment sous la main? C'est très possible. Il y a en effet du Brault chez lui. Et du Arcand, peut-être aussi.

Son dernier film débarqué en salles (il en a tourné un autre, An Enemy, à venir plus tard en 2013) vient d'entamer sa deuxième semaine d'exploitation. Or, lundi dernier, après seulement trois jours de projection, on savait déjà que Prisoners (Prisonniers en vf) est goûté par... l'Amérique entière. Premier au box-office québécois dès sa sortie, des recettes de 440 000$; premier sur le continent, 21,4 millions$, devant tous ces blockbusters américains que l'on aime tant détester.

Tout n'est pas que chiffres, bien sûr, mais ils peuvent parfois servir à remonter un peu le moral, même lorsqu'ils passent par Hollywood.

Depuis plus de deux ans, le cinéma québécois est en sérieux déficit de public, on l'a assez dit. Est-il ou non en crise? On peut en débattre si ça amuse, mais les chiffres - encore eux- imposent l'évidence.

En 2012, sa part de marché a plafonné à 4,8%, le résultat le plus navrant depuis 2000. Et à la mi-année 2013, une analyse de The Gazette prévoyait rien de moins qu'une deuxième annus horribilis: nos images avaient à peine attiré 2,5% de la fréquentation depuis six mois. Tous les espoirs reposaient alors sur Louis Cyr, l'homme le plus fort du monde, de Daniel Roby, apparu en salles le 12 juillet. Il n'a pas déçu, récoltant plus de 4 millions$, le plus important succès local depuis trois ans.

Il est exact que la part de marché n'est pas nécessairement en rapport direct avec la qualité et l'importance d'un film. Exact aussi que les canaux de diffusion autres que la salle - et non comptabilisés - jouent un rôle toujours plus grand dans la fréquentation de notre cinéma.

Mais une débandade pareille, ça donne tout de même le tournis.

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Revoyons Villeneuve une seconde. Qu'est-ce qui fait de lui ce qu'il est?

Trois choses qui ne sont pas si courantes derrière la caméra. Un, l'humilité: l'homme s'efface devant l'oeuvre et fait dans la sobriété, ce qu'il dit avoir remarqué chez Brault, on l'a dit. Deux, l'amour du réel, même et surtout lorsqu'il est déplaisant (c'est là qu'on pense à Denys Arcand): Polytechnique est à ce point de vue un monument élevé au regard et au courage artistiques. Trois, le génie cinématographique ultime, celui d'allier substance et souci de trouver un public.

Les grands devraient être utiles en tant que modèles, aussi.