En 1936, dans un petit ouvrage collectif, Notre américanisation, l'Ordre des Frères prêcheurs faisait une mise en garde solennelle. «S'américaniser, prévenaient-ils, c'est s'unir aux prédicants de la puissance matérielle (pour) intégrer le dieu dollar, le matérialisme, la standardisation à tous les degrés».

Il est vrai que les années 30 furent difficiles au Québec comme ailleurs. Vrai aussi que nous avons toujours eu tendance à blâmer... l'argent et les étrangers.

Mais, à la décharge des Frères prêcheurs, communément appelés les Dominicains, ils ne faisaient ainsi que participer à un phénomène beaucoup plus vaste: la naissance puis la rapide progression de l'antiaméricanisme «moderne». Celui-ci persiste à ce jour, fondé non pas sur le passé de la nation américaine comme au XIXe siècle, mais sur ce qu'elle est alors en train de devenir: une hyperpuissance militaire, scientifique, économique et surtout culturelle.

En outre, le livre des Dominicains était loin d'être le plus violent.

Cinq ans plus tôt, entre autres, les intellectuels français Robert Aron (à ne pas confondre avec Raymond) et Arnaud Dandieu signaient Le Cancer américain (sic). Ils s'y livraient à une furieuse agression contre le «Yankee» malfaisant (les bains de sang européens, c'est sa faute!) et stupide dont «l'esprit ne peut inventer ni créer; il ne sait que découvrir une réalité toute faite, d'après des méthodes apprises» (Dandieu décéda en 1933 d'une banale chirurgie effectuée... sans méthode. Et Aron fut interné en 1941 dans un camp français sous occupation nazie).

Depuis lors, des centaines d'ouvrages de cette sorte ont été publiés, en même temps qu'on tentait ici et là de comprendre et d'expliquer cette haine inextinguible. À notre connaissance, personne n'y est parvenu de façon satisfaisante.

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Depuis deux jours, on a reproché à Gabriel Nadeau-Dubois ses propos (dans des textes, discours ou publicités) sur les dangers de l'«américanisation» du monde en général, des universités en particulier. Et sur le «bulldozer de la marchandisation hollywoodienne».

Or, le grand leader du Printemps érable ne fait ainsi que se plier à une vénérable tradition. Qu'acquiescer à une doctrine transmise successivement ou simultanément par le clergé catholique, les milieux d'affaires (en particulier au Canada anglais), l'extrême droite, l'extrême gauche et une partie importante de la bourgeoisie intellectuelle, avant de devenir dans les années 60 un objet de consommation de masse. Aujourd'hui, pourfendre l'hydre américaine est une figure obligée comme dans certains sports olympiques, une sorte de rite de passage, dans le cheminement normal de tout «dissident».

On a donc tort d'accabler GND sur ce point. Patience. Il a l'intelligence nécessaire - et beaucoup de temps devant lui- - pour développer une pensée moins convenue, plus profonde et peut-être un jour utile.