L'affiche montre une femme à l'oeil tuméfié, seule partie d'elle-même qui ne soit pas cachée sous le niqab. Il s'agit d'une campagne contre la violence faite aux femmes lancée dans un pays, l'Arabie saoudite, où celles-ci ont à se battre pour sortir sans chaperon ou conduire une voiture. Quant au niqab de l'affiche, difficile de le voir comme un symbole d'émancipation...

Situation quelque peu contradictoire? Certainement. Mais voyons encore ceci.

En Égypte, épicentre de ce Printemps arabe qui devait être celui de la libération, 74 % des musulmans souhaitent l'instauration de la charia. Une version « molle » de la loi islamique, peut-être? Non : 86 % de ceux-là estiment que l'apostat, celui qui répudie l'islam, doit être mis à mort. En même temps, les trois quarts des musulmans égyptiens supportent la... liberté de religion!

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On peut avoir du mal à s'y retrouver.

Pourtant, c'est la réalité que décrit l'un des plus vastes sondages jamais menés auprès du monde musulman. Le Pew Research Center a en effet interviewé 38 000 personnes dans 39 pays. Le portrait qui s'en dégage est complexe et, on l'a vu, contradictoire. C'est celui d'une assemblée de croyants qui, en gros, accorde beaucoup d'importance au fait religieux et n'est pas toujours à l'aise avec la modernité. Sur ce dernier point, cela confirme les avis répétés d'experts de l'ONU en ce qui concerne, en particulier, le monde arabe.

Ces avis, justement, attiraient l'attention sur le statut de la femme, facteur crucial du développement. Or, l'évolution de ce statut se heurte à un solide conservatisme.

Par exemple, il y a dans plusieurs pays une tolérance étonnante vis-à-vis les crimes d'honneur : en Afghanistan, au Bangladesh, en Jordanie et en Égypte, moins de 35 % des musulmans les condamnent de façon absolue. L'égalité dans l'héritage ou dans le divorce n'est pas acquise. Presque partout, on considère dans une très large proportion que l'épouse doit en toutes circonstances obéir à son mari...

Enfin, question qui ne cesse de nous hanter depuis 12 ans : que pensent les musulmans « ordinaires » de la violence à connotation religieuse exercée contre des civils?

Une majorité la condamne. Néanmoins, elle est parfois ou souvent justifiée aux yeux de 40 % des Palestiniens, de 39 % des Afghans, de 29 % des Égyptiens et de 26 % des Bangladais. Fait intéressant : les Irakiens, vivant dans la difficile situation que l'on sait, rejettent la terreur au même niveau (seulement 7 et 8 %, respectivement, la trouvent parfois justifiée) que les musulmans vivant aux États-Unis. Partout, les musulmans craignent les extrémistes, en particulier la terreur islamiste - ce en quoi ils ont raison car ils en sont les principales victimes.

Ce phénomène d'autodestruction est certainement l'une des pires calamités affligeant le monde musulman, compromettant dans une foule de nations tout élan vers le progrès.