Il y a quelques mois, les créateurs de Sesame Street, l'émission-culte de la chaîne PBS destinée aux enfants, introduisaient une nouvelle marionnette: la petite Lily, 8 ans, qui souffre de la faim. Le but était d'illustrer une statistique ainsi que la réalité qu'elle décrit: 17 millions d'enfants vivent dans l'insécurité alimentaire aux États-Unis, au coeur de la nation la plus riche et puissante que l'humanité ait connue.

Riche et puissante?

Aujourd'hui, cette nation ne se perçoit pas ainsi. Depuis qu'ils sont entrés dans l'ère de l'après-Bush, en 2008, les Américains soupèsent plutôt leurs échecs diplomatiques et militaires en Irak, en Afghanistan, au Proche-Orient, ainsi que leur impuissance devant le détournement islamiste du printemps arabe, le naufrage appréhendé de l'Europe ou le bellicisme de la Corée du Nord. Et ils regardent avec crainte l'état de leurs finances publiques après avoir vu vaciller l'économie réelle. Detroit est l'incarnation de leur cauchemar...

En un mot, ils cèdent au déclinisme, un mal que l'on croyait presque exclusivement français, ce qu'illustrent plusieurs ouvrages américains parus sur ce thème depuis cinq ans.

Les titres sont évocateurs (nous traduisons). C'est encore pire que ça en a l'air (Mann et Ornstein). Le Suicide d'une superpuissance (Pat Buchanan). Jadis, c'était nous (Thomas Friedman). Le monde post-américain (Fareed Zakaria). Paul Kennedy, qui signait en 1987 le monumental ouvrage Naissance et déclin des grandes puissances, s'emploie aujourd'hui à décrire ce qu'on pourrait appeler l'automne américain.

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Plusieurs contemplent l'affaire avec jubilation: rien n'est plus réjouissant pour les esprits simples, en effet, que de voir ces Américains honnis broyer du noir. Mais il faut bien constater que les États-Unis n'en sont pas à leur première crise ni à leur première montée de pessimisme. Il s'agit tout au plus d'une «cinquième vague de déclinisme», juge le professeur et auteur Josef Joffe (dans The American Interest).

Une sorte de... «déclin 5.0».

Plusieurs événements survenus depuis un demi-siècle ont momentanément amené l'Amérique à douter d'elle-même. Les succès de l'URSS aux premiers moments de la conquête de l'espace - on ne se souvient plus aujourd'hui de la véritable panique qu'avait engendrée la mise en orbite du Spoutnik. Puis la guerre du Vietnam, les conflits raciaux, le Watergate. Ensuite, la montée en puissance du Japon au cours des années 80 - on en a fait des romans et des films! Enfin, l'émergence de la Chine depuis 15 ans.

En fait, il y a autre chose dont on ne se souvient jamais. Et c'est l'incroyable capacité de rebondir que possède l'Amérique, en particulier en ce qui a trait à ses problèmes intérieurs. À comparer aux versions précédentes du déclinisme américain, du Spoutnik au syndrome chinois, le «déclin 5.0» n'en est pas la pire mouture. Ni la plus insurmontable.