Sur un site web, on lit: «Je suis adulte. Pourtant, je ne me rappelle pas avoir éprouvé une telle attirance, et que celle-ci ait autant accaparé mes pensées». Ailleurs: «Il est inspirant parce qu'il n'a pas peur d'être lui-même». Et encore: «Penser à lui me trouble physiquement, comme si j'essayais de donner un sens à la dichotomie de la Belle et de la Bête; de l'extrême beauté de sa personne et de la laideur du crime qui lui est attribué».

Pour qui se pâme-t-on ainsi? Pour Luka Rocco Magnotta...

Depuis le crime abject du 25 mai dernier, des fans - il n'y a pas d'autres mots - ont ouvert sur le web une quantité de pages, de blogues, de sites, qui lui sont consacrés. Certains demeurent accessibles: il s'agit en général de ceux que l'on pourrait qualifier de «romantiques». D'autres ont été verrouillés, par exemple ceux qui permettaient de voir la vidéo de la mort de Lin Jun.

Comme le crime lui-même, ces élans de sympathie, d'admiration et même d'amour entrouvrent une fenêtre sur les abysses de l'esprit humain. Là où on ne trouve ni lumière, ni raison, ni morale.

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On se demande ce qui est le troublant.

Est-ce le crime lui-même? Est-ce le cas de ces femmes attirées par un homme présumé criminel, soupçonné de sadisme, consacré vedette? Est-ce le comportement de ces hommes s'adonnant à un type particulier de voyeurisme, celui de la souffrance, du sang et de la mort?...

Rien là de neuf, bien sûr.

Le crime violent est un phénomène millénaire: l'Ancien Testament est un recueil d'atrocités. L'attirance à l'endroit des criminels violents est une constante de l'Histoire: Landru, l'assassin d'une dizaine de femmes dans le Paris d'il y a un siècle, reçut des centaines de demandes en mariage. Et la passion pour la représentation de la violence fit le succès des premières feuilles «jaunes» ayant suivi l'invention de l'imprimerie.

Était-ce alors supportable? Difficile d'en juger. Mais, chose sûre, ça l'est infiniment moins aujourd'hui.

D'abord parce que le niveau réel de violence n'a cessé de diminuer, comme nous l'avons souvent noté ici, ce qui a abaissé le seuil de tolérance à l'endroit de celle qui demeure. Ensuite et surtout parce que les médias modernes assurent à cette violence une visibilité sans commune mesure avec sa réalité.

L'enquête préliminaire de Magnotta a débuté, hier, par un débat de procédure. La défense réclame le huis clos, les médias contestent cette demande; la décision sera rendue aujourd'hui. Deux choses à ce sujet. Le caractère public des procédures judiciaires garantit leur probité, et l'apparence de cette probité, ce qui est fondamental. Mais il existe aussi, ou devrait exister, une autre forme de probité qui commanderait une certaine retenue dans la médiatisation de cette sordide affaire.

Landru avait peut-être des «fiancées». Mais il ne disposait pas de suites nuptiales virtuelles.