L'attribution des prix Nobel «non scientifiques», paix et littérature, est réputée être largement influencée par la petite politique, par la conjoncture, par les modes intellectuelles. Cependant, en célébrant cette année la longue marche des Européens vers la coexistence pacifique, le Nobel de la paix prend du recul et salue une grande victoire historique: celle d'un continent qui est parvenu à se libérer de ses démons.

Le prix va donc à l'Union européenne pour avoir «contribué pendant plus de six décennies à promouvoir la paix et la réconciliation, la démocratie et les droits de l'Homme», a annoncé hier le comité norvégien qui a fait ce choix. «Un continent de guerre s'est transformé en continent de paix».

Au vrai, l'Europe n'avait pas le choix.

En mai 1950, lorsque Robert Schuman propose un accord industriel franco-allemand sur le charbon et l'acier, embryon d'un projet continental, l'Europe est un champ de ruines. Matériellement, bien sûr, mais aussi intellectuellement et moralement.

Victime à plusieurs reprises de son goût pour le sang, elle s'apprête à ce moment-là à affronter les conséquences de son passé colonial: bientôt, le Sud rejettera, parfois de façon brutale, les métropoles du Nord. À affronter ensuite les retombées de ses dérives idéologiques: inventeur de toutes les doctrines totalitaires, le continent sera déchiré par la plus vigoureuse d'entre elles pendant encore 40 ans avant qu'elle ne s'autodétruise. À affronter enfin les stigmates d'une terrible blessure d'orgueil: celle de devoir sa survie puis son relèvement à la nouvelle puissance américaine que la faiblesse européenne a contribué à bâtir.

L'Europe, donc, est maintenant en paix avec elle-même. Et c'est en effet un accomplissement qu'il faut célébrer.

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Des années 50 à ce jour, le cheminement vers une forme d'«États unis d'Europe» a été ardu.

Outre les difficultés inhérentes à une telle démarche, celle-ci a parfois été entravée par les populations elles-mêmes. Des populations attachées à leur identité nationale. Méfiantes à l'endroit de la pachydermique bureaucratie bruxelloise qui prospère et régit. Inquiètes des répercussions d'une intégration continentale de plus en plus poussée sur l'économie, la sécurité sociale, l'emploi - ce n'est pas pour rien que le «plombier polonais» est devenu une icône!

En somme, l'Europe vit en modèle réduit les remous, bienfaits et difficultés que la mondialisation entraîne à une échelle plus vaste.

Cependant, ce continent est unique. Et il connaît aujourd'hui une crise sans précédent, sans réel équivalent ailleurs dans le monde. Une crise économique en surface, mais culturelle si on va plus en profondeur. L'Europe va trouver des solutions et s'en remettre, sans doute. Au moins, aujourd'hui, on sait qu'une telle crise peut menacer la sérénité politique, peut-être même certaines structures. Mais pas la paix.