Ce n'est pas par élévation morale, mais plutôt en réponse à un problème strictement économique, que le thème de l'âgisme risque de prendre beaucoup de place au cours des prochaines années.

De l'avis général, la discrimination à l'endroit des personnes plus âgées existe bel et bien dans le monde du travail. Et elle sera bientôt incompatible avec le fait que, d'ici 2030, le Canada sera à court de deux à trois millions de travailleurs pour occuper les emplois disponibles.

Ainsi, un récent sondage pancanadien (Ipsos Reid/Postmedia News, dans The Gazette) indique que les 25-34 ans sont les préférés lorsque vient le temps de parler d'embauche (37%). Ils sont loin devant les 55-64 ans (9%) et plus loin encore devant les plus de 65 ans (3%). Même les jeunes font partie des 74% des sondés estimant que les travailleurs plus âgés sont discriminés, c'est-à-dire écartés pour des motifs non rationnels.

Étrangement, les très jeunes de 18 à 24 ans se retrouvent traités de la même façon que leurs aînés de 55 à 64 ans. Ce qui pourrait se traduire par une courbe de l'âgisme où seuls échapperaient aux préjugés les jeunes de plus de 24 ans et les gens entrés dans la force de l'âge, mais seulement jusqu'à 55 ans.

Un lecteur du Blogue de l'édito, où le sujet a été abordé, suggère une explication: «Une entrevue (pour un emploi) est une entreprise de séduction. La jeunesse est plus séduisante. Elle ne doute de rien parce qu'elle est sans expérience et les gens qui ne doutent pas séduisent» ...

Normal, tout cela?

Jusqu'à un certain point, sans doute. Un emploi nécessitant un travail physique intense et un autre où l'expérience est un facteur crucial discrimineront tout naturellement dans un sens ou dans l'autre. Néanmoins, le fétichisme de la jeunesse - ce qu'il faudrait appeler le «juvénocentrisme» ! - est réel.

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Le phénomène est moins récent qu'on ne le croit.

Un historien de la «culture jeune», Jon Savage, situe son éclosion dans sa forme contemporaine au début du XXe siècle. Ce que confirme de façon assez lugubre, hélas, la propagande des régimes totalitaires alors naissants et dont l'imagerie, interchangeable, est entièrement axée sur l'idéalisme et la puissance de la jeunesse.

Mais il reste que l'invention du «teenager», concept élastique qui inclut en pratique la jeune vingtaine, se concrétise dans les années 50 et 60 par la création d'un nouveau marché de la consommation, de la culture, des idées. Aujourd'hui, les boomers seraient mal venus de se plaindre du fait que la sacralisation de la jeunesse à laquelle ils ont alors présidé, et qui n'a fait que s'accentuer depuis, se retourne contre eux!

Jadis, Mick Jagger avait annoncé qu'il se suiciderait s'il chantait encore Satisfaction à 40 ans. Or, il vient d'avoir 69 ans, chante toujours Satisfaction... et personne ne semble regretter qu'il ait gardé son job.

Le «juvénocentrisme» ne prévaut pas toujours.