Le concept de droit d'ingérence, devenu par la suite le devoir d'ingérence, est depuis des années l'incarnation même de ce proverbial ouvrage qu'il faut cent fois remettre sur le métier! Sa plus récente application pratique a été l'intervention des forces de l'OTAN - dont l'aviation canadienne - en Libye. Et ce, sous l'impulsion du philosophe Bernard-Henri Lévy, alors parvenu à convaincre Nicolas Sarkozy qui a ensuite conscrit les alliés.

Or, le même homme se prononce maintenant pour une intervention militaire en Syrie. «Question de cohérence», explique BHL, «pour tous ceux qui estimèrent en 2011 qu'elle s'appliquait au cas libyen».

Lévy, dont on a presque pensé lors de l'épisode libyen qu'il posait en ministre officieux des Affaires étrangères, se donne en outre aujourd'hui des galons de général. Il a un plan, en effet. Dans sa lettre au journal Le Monde, il décrit les opérations militaires, essentiellement aériennes (comme en Libye, encore), qu'il faudrait entreprendre dans le ciel de la Syrie. Et il identifie les alliés nécessaires, dont la Turquie.

Mais, cette fois, il ne semble pas devoir remporter le même succès qu'en 2011...

Certes, on sait où en est la Syrie: au bord de la guerre civile totale, sinon déjà entrée dans cet enfer. Près de 25 000 citoyens du pays ont péri. La plupart sont des civils coincés entre un régime, celui de Bachar al-Assad, qui s'accroche, et des factions rebelles dont certaines sont mal connues. Des exactions sont commises chaque jour, le plus souvent par les forces gouvernementales. En pratique, l'ONU, qui a été présente en Syrie pendant quelques semaines sous la forme d'une mission d'observation, a pour l'instant renoncé à faire quoi que ce soit.

Ne se trouve-t-on pas en présence, comme le plaide le philosophe, d'une situation où le devoir d'ingérence trouve sa parfaite application?

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L'idée même du devoir d'ingérence est née il y a 35 ans et elle a été répandue par Bernard Kouchner en 1987. Or, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis ce temps. Et, si le concept demeure impeccable sur le plan moral, la réalité lui a imposé des limites étroites.

Or, le cas syrien a l'allure d'un gigantesque panier de crabes dans lequel aucun État ne voudra plonger.

Dans et autour de Damas, on trouve en effet ceci. Les armes chimiques dont le régime se servira, a-t-il prévenu, en cas d'intervention étrangère. Les subtilités des rivalités sectaires, qui débordent des frontières. L'Iran, ses tentacules au Liban, sa course au nucléaire. L'Égypte en pleine - et fragile - transition politique. La Turquie ambivalente. Israël aux aguets. La Russie et la Chine hostiles à toute intervention occidentale...

Il faudra trouver autre chose, au risque de décevoir le plaideur français. Et ce ne peut être que du côté de la diplomatie, même si, plus souvent qu'autrement, elle déçoit.