C'est le propre d'une campagne politique que de faire d'une déclaration saugrenue un enjeu national qui enflamme les passions. On ne parle pas ici de notre campagne à nous, même si elle ne manque ni d'allégations hasardeuses ni de passion, mais de l'américaine. Celle qui doit conduire aux élections de novembre prochain.

Ainsi, un obscur élu républicain du Missouri, Todd Akin, a décroché ses 15 minutes de gloire en soutenant que le corps d'une femme victime de viol (d'un «vrai» viol, précise-t-il), met en branle des mécanismes de défense naturels qui empêchent la grossesse. D'où l'inutilité et l'immoralité de l'avortement même en de tels cas - chaque année, 32 000 femmes seraient violées aux États-Unis.

Le propos est tellement absurde qu'il n'aurait dû être accueilli que par un soupir de lassitude devant la constance de la bêtise humaine.

Mais ça n'a pas été le cas.

Tout comme Barack Obama, celui qui veut prendre sa place à la Maison-Blanche, le républicain Mitt Romney, a réagi. Il a laissé tomber la solidarité partisane pour déclarer que les affirmations d'Akin sont «insultantes, impardonnables et franchement fausses». À l'intérieur du parti et même du côté du Tea Party, on met dorénavant de la pression sur le membre de la Chambre des représentants pour qu'il renonce à briguer un siège au Sénat.

Ne cherchons pas à savoir si cette réaction est sincère ou si elle relève d'un calcul électoral. Oublions aussi le fait que, par zèle religieux, la droite morale américaine constitue un bloc monolithique farouchement opposé à l'avortement... et que, peut-être, le tort d'Akin aura-t-il été surtout le manque de subtilité... En fait, ce n'est ni l'opportunisme politique ni l'opiniâtreté de ce combat d'arrière-garde qui, cette fois, troublent le plus.

Le plus affolant, c'est que Todd Akin siège à la commission des... sciences de la Chambre des représentants!

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On pourrait excuser un sorcier de village qui, comme Todd Akin, prêterait des pouvoirs miraculeux au corps de la femme. De même, personne ne songerait à demander au paysan perdu dans la brousse d'un État failli qu'il connaisse les subtilités de la physique des particules.

Mais le représentant de Missouri est un homme instruit, vivant dans un pays qui collectionne les prix Nobel comme s'il s'agissait de bibelots!

Comme c'est le cas chez les créationnistes, son problème ne réside pas dans le manque de connaissances, mais dans le geste délibéré de les mettre de côté. Dans La Connaissance inutile, le regretté Jean-François Revel se demandait précisément «pourquoi une civilisation née de la connaissance et qui en dépend semble s'acharner à la combattre ou à s'abstenir de s'en servir».

Pourquoi, en effet, dans ce cas précis? Parce que, pour servir un dieu et rétablir le pouvoir de l'homme sur le corps de la femme, le sacrifice de la connaissance n'est, pour certains, qu'un bien petit prix à payer.