Les Torontois sont en état de choc depuis dimanche soir, alors qu'un duel à l'arme à feu entre deux hommes s'est transformé en massacre. Deux personnes totalement étrangères à l'affaire sont mortes et 23 autres, dont un bébé de 22 mois, ont été blessées. C'est survenu à Scarborough lors d'une fête entre voisins à laquelle se sont invités des éléments liés aux gangs de rue.

Aujourd'hui, les Torontois prennent conscience d'une réalité effrayante: de plus en plus d'innocents périssent dans des lieux publics censés être sûrs. Uniquement depuis le 2 juin, des fusillades ont secoué le Centre Eaton, un café achalandé de la Petite Italie et une célébration du 1er juillet.

Pour comprendre cet émoi, rappelons la mort en 1995 de Daniel Desrochers, 11 ans, victime innocente d'une guerre des gangs. Pressée par la colère des Montréalais, la police avait alors déclenché une offensive sans précédent contre les motards criminalisés.

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Deux choses frappent dans cette ville qui, étonnamment, se situe au-dessous de la moyenne canadienne en matière d'homicide (1,40 contre 1,62 par 100 000 habitants; Montréal est à 1,27).

Un, le rôle des armes à feu, outil privilégié des gangs de rue torontois, utilisées presque trois fois plus souvent que l'arme blanche dans la commission d'homicides (199 événements contre 79 entre 2006 et 2011).

Or, à New York, on est largement parvenu à désarmer la rue par une tolérance moins grande des infractions mineures - ce qui permet l'interpellation - notamment dans les quartiers chauds, souvent «ethniques». Racisme? C'est le contraire qui le serait. À Toronto, 71,3% des victimes d'homicide sont non caucasiennes (2006-2012): c'est cette tranche de la population qui a le plus urgent besoin d'être protégée, comme le prouve la tragédie de Scarborough. Doit-on l'abandonner à elle-même?

La seconde réalité est nouvelle et terrifiante. Traditionnellement, le crime organisé faisait preuve de prudence, si l'on peut dire, dans l'usage de la violence. Mais la sous-culture des gangs de rue est totalement indifférente à la vie des innocents.

On entre alors sur le terrain mal balisé des root causes, dont la première est très certainement un cadre familial déficient. «Il est maintenant évident que la gêne matérielle n'est pas le problème principal - pas quand chaque ado des quartiers sensibles a un téléphone cellulaire et une télé numérique... Les programmes sociaux sont essentiels. Mais tous les programmes sociaux au monde ne répareront pas une famille désintégrée», écrit Margaret Wente dans le Globe and Mail.

Il s'agit sans doute de l'un des commentaires les plus sensés à avoir été publié à Toronto depuis dimanche. Mais il implique qu'une grande partie de la solution se trouverait dans la responsabilisation individuelle. Et ça, c'est une approche depuis longtemps mise à l'index dans nos sociétés.