On se penche de plus en plus sur le côté sombre de la force des médias sociaux. Et on constate que, dans l'enthousiasme qui a salué leur naissance, deux aspects de l'aventure ont été mal, ou pas du tout, évalués. Aussi, après plus ample information, on peut affirmer que les lunettes roses portées jusqu'à maintenant pour contempler le web social se décolorent lentement...

L'affaire est intéressante pour nous qui sommes en pleine crise sociale. Comme il est devenu coutume de le noter en pareille circonstance, en effet, les médias sociaux en sont le moteur, le perron d'église et le quartier général.

Là où il faut être, le soir, quand il n'y a pas de hockey, c'est sur #manifencours!

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Premier point, donc.

Il concerne la puissance que l'on prête aux médias sociaux, en réalité répartie très inégalement selon plusieurs variables.

Variables géographique et économique. Le printemps arabe n'a pas été porté autant qu'on l'a dit par le web social. Par exemple, seulement 5% des Égyptiens utilisent Facebook et moins de 1%, Twitter... Ensuite, variables démographique et culturelle. Actuellement, au Québec, les «noeuds» virtuels importants appartiennent presque exclusivement aux jeunes, et aux jeunes marqués à gauche. De la mi-avril à la mi-mai, Gabriel Nadeau-Dubois a été la cinquième personnalité la plus relayée sur Twitter (selon le spécialiste Claude Théorêt, TVA).

Le second point concerne le message transmis par le médium lui-même, lequel, à mesure qu'on le décode, apparaît beaucoup moins constructif qu'on l'avait estimé. Question: et si les médias sociaux... désocialisaient?

«Une vérité dérangeante, c'est que, malgré leurs promesses communautaristes, les médias sociaux divisent plus qu'ils ne rapprochent.» Le constat est développé par l'auteur anglo-américain Andrew Keen dans Digital Vertigo (non traduit en français), tout juste débarqué en librairie.

Une autre de ses constatations fera un... bruit de casseroles à nos oreilles.

À supposer même que les médias sociaux soient relativement efficaces dans le déboulonnage des pouvoirs, dit Keen, ils s'avèrent à ce jour incapables de participer à une construction démocratique.

La démocratie, en effet, «consiste en bien davantage que ce que les utilisateurs fantaisistes de Facebook, unis autour d'une vague cause politique, appellent le pouvoir du peuple». Dans le monde réel, l'émergence «d'un mouvement structuré, convenablement financé, doté d'un leadership responsable et d'un agenda politique réaliste, est nécessaire pour aller plus loin qu'une vague promesse de libération».

Chez nous, le mouvement qui, à la fois, réunit quelques-unes de ces conditions et endosse en gros les revendications de la «rue», est le parti Québec solidaire. Aux prochaines élections, on pourra grâce à lui mesurer la distance séparant le pouvoir du peuple dans sa version virtuelle et dans sa réalité tangible.