On ne se souvient pas avoir vu un accusé de meurtre réclamer d'être reconnu sain d'esprit et exécuté en cas de déclaration de culpabilité. C'est pourtant ce que demande Anders Behring Breivik, l'auteur avoué du massacre d'Oslo et de l'île d'Utoya, en juillet 2011. Mais un de ses souhaits ne pourra être exaucé: la Norvège a depuis longtemps aboli la peine de mort...

Breivik subit actuellement son procès, suivi avec intérêt partout dans le monde.

L'homme est en effet l'auteur de la seule tuerie contemporaine perpétrée au nom d'une idéologie d'extrême droite chrétienne, blanche, explicitement islamophobe. Lors des premières audiences, il a utilisé en guise de salutation un geste très proche du salut hitlérien. Ce système de pensée l'a conduit à abattre 77 Norvégiens - «de souche», pour ainsi dire. Il s'en est expliqué dans un manifeste mis en ligne à l'époque.

Or, que l'accusé le veuille ou non, sa santé mentale constitue l'enjeu du procès. Auparavant, deux rapports psychiatriques ont été déposés. Contradictoires, bien sûr.

Ça, on connaît, depuis l'affaire Turcotte...

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La pratique psychiatrique ne s'exerce pas dans le vide cosmique, mais dans une société et à une époque données.

Ainsi, la cinquième version du DSM (prévue pour mai 2013), le savant annuaire des maladies mentales, élargira encore le nombre de pathologies, déjà passées de 106 en 1952 à 365 aujourd'hui!

On accuse volontiers l'industrie pharmaceutique d'avoir quelque chose à y voir. Mais on peut aussi soupçonner l'air du temps, qui est à la déresponsabilisation croissante des individus. Personne, en effet, ne répond plus de rien. De rien de mal, en tous les cas. Les coupables sont le système, ou la société, ou les autres, ou un dérèglement intérieur - d'un type déjà répertorié ou encore à définir - sans faute imputable.

Juste pour une seconde, voyons ce qu'on pourrait appeler le «projet Breivik» avec cette faculté d'appréhension qui semble s'être atrophiée: celle du bon sens.

Il est à peu près établi que l'accusé a toujours eu par rapport à son dessein un comportement parfaitement cohérent, même techniquement sophistiqué. La véritable question n'est-elle pas alors de déterminer si le fait d'adhérer à une vue de l'esprit, une idéologie, une croyance, qui commande de massacrer une foule d'innocents constitue une maladie? Ou si cette adhésion est le résultat du libre arbitre?

Nous ignorons ce que la justice norvégienne fera des nouvelles expertises psychiatriques, probablement encore contradictoires, qui lui seront offertes. Cependant, nous savons le danger qu'il y aurait à dissocier la responsabilité individuelle du système moral que chacun choisit pour le guider dans ses gestes.

Anders Behring Breivik n'abjure pas la doctrine obscène qui l'a guidé et plaide sa complète lucidité avant, pendant et après les faits.

Peut-être devrait-on le croire sur parole.