Jusqu'au 14 avril 1912 à 23h40, le monde - l'Occident à tout le moins - était convaincu d'être arrivé à l'apogée du progrès. « Tout ce qui était susceptible d'être inventé l'a été », aurait statué, quelques années plus tôt, le directeur du Bureau américain des brevets. En 1889 puis en 1900, les expositions universelles de Paris avaient offert au monde une invraisemblable tour de fer de 324 mètres, un Palais de l'électricité, une Galerie des machines.

Et un trottoir roulant baptisé Rue de l'Avenir...

Comment ne pas croire à un avenir radieux, en effet? En 1900, on annonçait pour l'an 2000 de telles folies qu'une espérance de vie supérieure à 50 ans, des trains filant à 250 km/h et même la télévision! Puis, cette nuit-là, à cette heure-là, le Titanic, ultime symbole du progrès, heurta un iceberg et sombra en moins de trois heures.

Le navire avait quitté Southampton un 10 avril, il y a exactement un siècle, pour sa première traversée.

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Inutile de revenir sur l'événement lui-même ou sur sa dimension mythique: d'autres s'en chargent.

C'est le coup porté par cette catastrophe à l'idée de progrès qui intéresse. D'autant plus que l'Europe, qui adorait s'autodétruire (une demi-douzaine de conflits majeurs entre 1850 et 1912), allait bientôt se surpasser. Le déclenchement de deux guerres mondiales, l'invention du génocide industriel et la mise au point de toutes les doctrines totalitaires achevèrent d'anéantir les promesses de l'ère du fer et du feu.

Depuis, s'est-on réconcilié avec une conception optimiste du progrès?

Par périodes, oui. Pendant les Trente Glorieuses, par exemple. Sinon, la mode songée est au catastrophisme. En 2012, on annonce pour 2112 « un grand silence », c'est-à-dire la disparition de l'humanité. C'est ce que rapporte Le Devoir après avoir effectué un sondage dont les résultats sont du plus noir pessimisme.

Parler d'avenir consiste dorénavant à dresser la liste des calamités possibles: nous les connaîtrons toutes. Et les pires seront provoquées par l'être humain, qui a échoué, détruit, saboté, et ne pourra que continuer à le faire - c'est ce qu'on raconte aux enfants et ils y croient, bien sûr. La science est discréditée, même si elle a donné 99% de la connaissance. La technologie de l'ère numérique inspire méfiance et mépris, alors que nous ronronnons dans l'ahurissant confort qu'elle procure. Évoquer le progrès est accueilli par les rires sarcastiques de ceux qui prétendent savoir où on va, alors qu'ils ignorent d'où on vient.

Le naufrage du jour est celui de la foi en l'intelligence de l'Homme, en son jugement et en sa résilience, lesquels ont pourtant maintenu l'espèce à flot depuis 200 000 ans. À la proue d'un Titanic contemporain, Rose et Jack ne seraient plus de flamboyants maîtres de l'univers, mais des êtres honteux de leur stupidité et de leur malfaisance.

C'est la pire insulte à ce que nous sommes vraiment.