Serait-ce en y mettant des «si», des «mais» et des «peut-être», il n'existe pas de justification à la pratique ou à la tolérance de la torture dans une société avancée. Que la question soit même posée dans les cercles du pouvoir, comme ce fut le cas aux États-Unis sous George W. Bush et comme ça l'est au Canada sous Stephen Harper, indique déjà une fissure dans le tissu moral de ces sociétés.

Certes, la position canadienne sur le sujet introduit une variante moderne au dossier de cette pratique vieille comme le monde. Mais l'essentiel n'est pas touché.

Il s'agit de la «sous-traitance» de la torture, évoquée dans une directive du ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Le ministre y décrit comme utilisables les «renseignements fournis par des agences étrangères qui peuvent résulter de l'utilisation de la torture ou de mauvais traitements». Il doit s'agir d'une procédure d'exception, ajoute-t-il, que justifient «des circonstances exceptionnelles où il existe une menace à la vie humaine ou à la sécurité publique».

La lettre porte la date du 7 décembre 2010 et est donc postérieure à des affaires impliquant des services de sécurité étrangers, notamment syriens dans le cas de l'ingénieur canadien Maher Arar.

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Ayant pris connaissance de tout cela, on ne trouvera que des raisons de s'opposer de façon catégorique à la position du ministre Toews. Pas de «si», pas de «mais», pas de «peut-être». Le chef libéral, Bob Rae, a noté avec justesse: «Toute réponse à la torture qui prend plus de cinq secondes n'est pas une bonne réponse».

La torture est illégale selon une convention de l'ONU signée et ratifiée par Ottawa. Elle est inefficace puisque, par définition, les confessions qu'elle arrache en recourant à la peur et la douleur ne sont pas fiables. Les situations hypothétiques où torturer sauve directement des vies ne se reproduisent pas à l'identique dans la réalité. Autoriser la torture (ou détourner le regard) dans des «circonstances exceptionnelles» n'a en pratique aucun sens puisque le concept, entièrement subjectif, peut se plier à toutes les interprétations.

Mais ce n'est pas encore le plus convaincant.

L'argument essentiel est que la torture est un instrument de mesure de la position d'une société sur l'échelle du progrès. De son niveau de civilisation. La peine de mort a d'ailleurs une utilité comparable et il est sidérant de voir le sujet revenir sur le tapis.

Étudier l'Histoire du point de vue de l'exercice de la violence fait en effet voyager du point A, où les pires massacres, exactions, châtiments, sévices, étaient acceptés et même applaudis. Jusqu'au point B, où la tolérance face à la violence, surtout institutionnelle, se rapproche du zéro.

Rebrousser chemin ne peut pas être une option.