Àpartir de la même lubie rousseauiste qui nous a donné le « bon sauvage », il est convenu que l'enfant est naturellement incapable de faire le mal. Il ne le pourra qu'une fois corrompu par la civilisation. «Si les enfants / Prenaient les choses en mains / Ce serait beaucoup mieux / La vie serait un jeu», proclame une chansonnette populaire sur l'internet.

Or, c'est faux.

À l'état naturel, l'enfant est centré sur lui-même, formidablement orgueilleux, largement insensible au malheur des autres, ignorant de ce qu'est le mal, capable d'une stupéfiante méchanceté. Et c'est la civilisation qui, justement, le civilise petit à petit.

Aucun lieu n'est plus cruel qu'une cour d'école. Ou plutôt si. Il y a ces champs de bataille du tiers monde où les enfants transformés en soldats par de monstrueux chefs de guerre «sont bien souvent les plus durs, les plus brutaux, les plus déchaînés, les plus enthousiastes, les plus cinglés, des combattants», notait Bernard-Henri Lévy* après avoir vu de près cette horreur.

C'est une vérité désagréable à entendre, mais les enfants aiment les jeux de guerre. Des jeux qui font des morts, parfois.

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La jeune Marjorie Raymond de Sainte-Anne-des-Monts a apparemment été victime de cette sorte de jeu, poussée au suicide par de l'intimidation de cour d'école. L'événement a profondément choqué le Québec et, hier, les commentaires ont été nombreux et variés.

Ceux des autorités, d'abord. Soucieuses de se disculper. Promptes à accabler la... civilisation. Saisissant l'occasion de réclamer de l'État davantage de subsides, en vertu de la bonne vieille règle québéco-socio-démocrate voulant qu'il appartient à l'argent, et à l'argent seul, de tout régler.

D'autres commentaires sont venus d'enfants eux aussi intimidés, et même de quelques «intimideurs». Chez les premiers, on voit une grande résignation devant un mal inguérissable qui fait de l'école un champ de bataille. Chez les seconds, reviennent les mots: jeu, plaisir, pouvoir, ignorance. Enfin, tant du côté des autorités que chez les jeunes, existe un consensus: les outils informatiques de communication ont beaucoup, beaucoup, aggravé le problème.

Que faire? Deux choses, peut-être.

Un: former les enfants pour que, non seulement ils n'intimident pas, ne harcèlent pas, ne cherchent pas à faire du mal. Mais, plus, qu'ils n'admettent plus l'intimidation autour d'eux, le plus pressant besoin des «intimideurs» étant d'avoir les rieurs de leur côté.

Et deux: cesser de faire de l'angélisme et voir les enfants pour ce qu'ils sont, des êtres non achevés qui ont parfois besoin d'être sévèrement punis - terme obscène dont il n'est pas certain qu'il figure encore au dictionnaire d'une société dégoulinante de bons sentiments.

*Dans Réflexions sur la Guerre, le Mal et la fin de l'Histoire, 2001.