Au moins autant que les défunts Saddam Hussein, Nicolae Ceausescu ou Kim Il-sung, par exemple, Mouammar Kadhafi aura été la parfaite incarnation de cette sorte de despote dont le pouvoir repose sur trois piliers. L'intimidation et la violence en tant que mode de gouvernement. Un culte de la personnalité savamment entretenu. La plus grande distance possible mise entre la nation ainsi tyrannisée et l'influence du monde extérieur.

Ayant mis au point un dosage bien à lui de ces trois ingrédients en usant d'une généreuse portion de ce qu'il faut bien appeler sa mégalomanie, le colonel Kadhafi sera cependant parvenu à se démarquer des autres.

Chez lui, tout était excessif, en effet.

Ses tenues vestimentaires, uniformes flamboyants ou spectaculaires vêtements de bédouin. Son personnel de sécurité exclusivement féminin - sans parler de sa célèbre et pulpeuse infirmière ukrainienne. La tente dans laquelle il entendait dormir, fut-ce au coeur des capitales occidentales. Sa volonté de devenir le roi des rois d'Afrique après avoir échoué dans ses ambitions dans le monde arabe. Son « livre vert » à la Mao et ses comités de surveillance à la Mao également... bref, tous ces flonflons faisaient de lui un colonel d'opérette que l'on craignait et dont on se moquait à la fois.

Au cours de son long règne de 42 ans, l'homme a usé dans ses relations avec le monde de l'arme de la terreur - rappelons-nous Lockerbie - et de celle du pétrole. Du chantage et de la séduction. De la commandite de tyranneaux du tiers monde à la plus plate servilité à l'endroit de l'Occident lorsque ce fut nécessaire.

Mouammar Kadhafi fut tout sauf un véritable chef d'État.

Il aura même négligé de préparer sa succession. Aucun de ses fils - considérés plus ou moins comme des gangsters, à l'image des fils Hussein - n'aurait vraiment été capable de lui succéder, en effet, même dans les circonstances les plus favorables.

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Maintenant, la Libye est entrée pour de bon dans le printemps arabe initié chez ses voisines, la Tunisie et l'Égypte.

Bien entendu, pour le peuple libyen, le plus difficile est à venir. Éviter la guerre civile et les déchirements tribaux, d'abord - même les plus pessimistes croient que la Libye saura éviter un chaos de type irakien. Contenir une éventuelle menace islamiste. Apprendre la démocratie et comprendre ses rouages. Construire un appareil d'État «normal» et fonctionnel, un travail ardu partout où a sévi une longue dictature.

Si, au cours des années qui viennent, la Libye avance à peu près correctement sur cette route, on pourra juger que l'intervention occidentale, initiée par la France et impliquant le Canada, aura été utile, à défaut d'avoir été populaire.