La version libyenne du printemps arabe entre dans une période floue, incertaine, peu d'indices probants permettant d'entrevoir ce que sera l'avenir. Et l'affaire se complique du fait que Mouammar Kadhafi ne fut pas un dictateur comme un autre, ce qu'il laisse derrière lui étant donc très particulier.

Il s'est d'abord distingué par une longévité exceptionnelle, ayant exercé pendant 42 ans un pouvoir conquis en 1969 par un coup d'État.

Sa philosophie politique fut plus particulière encore, essentiellement axée sur la grandeur de sa personne et sur une panoplie de moyens - incluant le grand terrorisme international - déployés pour nourrir cet ego. Cependant, d'abord panarabe puis panafricain, le royaume que Kadhafi estimait lui être dû (et qu'il tenta parfois d'acheter avec l'argent du pétrole) ne se matérialisa jamais.

Enfin, on a souvent noté, et avec raison, que Mouammar Kadhafi pouvait être perçu comme un gourou ou un chef de secte davantage que comme un dictateur «ordinaire». Doté d'un magnétisme réel, il a d'ailleurs bâti son image en multipliant les excentricités... Dont la publication d'unLivre vertvaguement ésotérique, exaltant notamment les mérites de la tribu.

Cet homme-là envolé en même temps que ses toquades, la Libye se retrouve sans infrastructures politiques viables, mais avec la menace de dérapages tribaux que l'on voit déjà poindre au sein des factions rebelles. Combinée à l'incertitude quant à l'avenir des combattants loyalistes, cette menace pourrait, dans le pire cas, déboucher sur une insurrection durable de basse intensité, un peu à l'irakienne.

Enfin, question récurrente partout où fleurit le printemps arabe: quelle sera, à long terme, le poids des fous d'Allah dans l'appareil étatique?

Personne ne se demande plus, aujourd'hui, s'il était sage pour l'OTAN d'intervenir au-dessus de la Libye - bien que, selon nous, le doute soit encore permis à ce sujet. Le fait est que les 17 000 sorties des forces aériennes occidentales, notamment canadiennes, ont été déterminantes dans la déroute du colonel Kadhafi.

Maintenant, surtout si ça tourne mal, la pression sera importante pour que des forces de paix étrangères s'engagent en Libye, même si les avis divergent à ce sujet au sein du Conseil national de transition.

Il faudra alors rappeler que c'est la France qui a initié cette intervention. Que l'Italie et la France sont, de loin, les principaux acheteurs du pétrole libyen: 43% contre 3% pour les États-Unis. Que l'Union africaine (qui ne reconnaît pas le CNT, a-t-elle fait savoir, hier) a l'obligation de manifester en l'occurrence son engagement pour la paix sur le continent.

Cela étant dit, on ne voit pas pourquoi les forces armées canadiennes, qui ont déjà beaucoup quadrillé l'espace aérien libyen, devraient en plus s'engager sur le sol.