On a beaucoup dit que tout est économique: «It's the economy, stupid!», psalmodiait Bill Clinton. Il a aussi été répété que tout est politique, concept en général utilisé pour politiser ce qui ne l'est pas et ne devrait pas l'être...

Or, dans l'Europe d'aujourd'hui et en particulier dans les 17 pays de la zone euro, on se rend compte que tout est plutôt culturel, dans le sens anthropologique du terme.

La crise des finances grecques force en effet une réflexion qu'on a laissée en plan, jadis, lorsque le «rêve européen» a commencé à se concrétiser. Car c'était un pari risqué: celui de fonder une union, puis une monnaie, sur une homogénéité culturelle qui s'avère inexistante. En tous les cas, insuffisante. En clair: toutes ces vieilles et vénérables nations n'ont pas la même conception de la société, de la «vertu» et de la vie. Pas la même vision de la recherche du bonheur, en somme, pour reprendre la si belle expression de la Déclaration d'indépendance américaine.

Ce n'est pas rien!

De fait, beaucoup d'Européens sont graduellement devenus méfiants devant l'intégration à marche forcée, comme en témoigne le rejet par plusieurs d'une constitution continentale. On dirait même que les concepteurs des euros (les billets de banque eux-mêmes) ont eu un sombre pressentiment... De la coupure de cinq à celle de 500 euros, en effet, aucune image garnissant les billets ne dépeint un édifice, un monument ou un lieu réels.

Ce sont des constructions de l'esprit. Des paraboles architecturales. De petites utopies.

En principe, la Grèce est encore une fois saine et sauve. Les voisins européens, les banques privées et le Fonds monétaire international ont allongé 160 milliards d'euros à Athènes, l'Allemagne étant au premier rang des bailleurs de fonds. On connaît la caricature: l'Allemand besogneux délesté du fruit de son labeur par le Grec insouciant...

Mais croit-on vraiment que tout est réglé, que l'esprit paneuropéen s'en trouve ragaillardi?

Bien sûr que non.

La population grecque sait ce qui l'attend, l'austérité, qu'elle rejette en bloc. Les Français* ont même trouvé un mot pour désigner ce refus global: l'indignation. Il y a maintenant des «indignés» partout dans le sud de l'Europe, dans les pays aux finances faibles qui tiennent le système - l'Europe, l'Amérique, les banques, le capital - responsable de leurs malheurs...

Sans prendre partie, sans accabler la cigale ni sanctifier la fourmi, on voit bien la dimension culturelle de l'affaire. À long terme, c'est le noeud du problème. C'est donc sur cette dimension-là, lourdement négligée, que l'Europe devra surtout travailler si elle veut avoir un avenir.

*Plus précisément Stéphane Hessel, auteur de Indignez-vous!, un brûlot de quelques pages qui a fait un malheur.

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