Plus anticapitalistes que jamais, les Français créent une nouvelle vague: au-delà de l'anti et de l'altermondialisation, en effet, ils proposent aujourd'hui la démondialisation. Le projet nouveau est de défaire tout ou une partie des mécanismes d'ouverture et de libre-échange graduellement mis en place depuis quelques décennies.

L'idée couve depuis un certain temps déjà. Mais elle est maintenant exposée officiellement dans un essai tout neuf, précisément intitulé La Démondialisation, de l'économiste Jacques Sapir. Celui-ci plaide la nécessité de faire marche arrière et de réédifier autour de la France des barrières de protection.

Le courant est si puissant que, selon plusieurs, il a rendu caduc le bon vieux clivage droite-gauche. Lequel s'est mué en un affrontement entre libre-échangistes et démondialistes, conformément aux antagonismes réels.

Or, cette vision est critiquable à au moins trois titres.

La première étrangeté réside dans le fait que la France a bel et bien profité de la mondialisation.

Entre 1960 et 2008, la richesse réelle des ménages a augmenté de 219%. La part des exportations dans l'économie est passée de 15 à près de 28%. Depuis les années 70, l'écart entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres s'est rétréci -une tendance qui, cependant, s'inverse depuis 2004. Entre 1970 et 2008, la production industrielle a été multipliée par huit, bien qu'on puisse juger cela insuffisant.

Or, seulement 36% des Français croient que la mondialisation a un avenir! Forcément. À hauteur de 57%, ce sont eux qui, dans le monde, détestent le plus le capitalisme! (Les Allemands, les Brésiliens et les... Chinois en sont les plus grands friands; GlobeScan, 2010.)

Ce qui nous conduit à une deuxième singularité de la nouvelle dichotomie: la création d'alliances objectives étonnantes. D'abord, une union de fait entre les bons vieux altermondialistes et le Front national de Marine Le Pen. Laquelle, plus démondialiste encore que José Bové, prône la sortie de la France de la zone euro! Ensuite, dans le coin libre-échangiste, une concordance de vues entre droites et gauches «classiques»...

Troisième point.

La mondialisation n'est pas et ne doit pas être qu'économique. Elle doit aussi s'intéresser aux droits et libertés, aux devoirs, à la culture, aux idées, ce qu'elle fait d'ailleurs déjà à une échelle remarquable - bien qu'insuffisante, à notre sens.

Ainsi, même dans sa version réaliste, le souci écologiste est le produit d'une conscience mondialisée. Tout comme le fait que la Chine n'exécute plus ses dissidents par milliers, comme jadis. Conçu et aujourd'hui ressuscité précisément par la France, le devoir d'ingérence est par définition transfrontalier. Les exemples foisonnent en matière de culture, d'information ou d'idées...

Au total et comme le reste de la planète, la France a besoin, non pas de moins, mais de plus de mondialisation, elle-même plus éclectique. Et ce n'est pas en avançant en arrière qu'elle trouvera ça.

mroy@lapresse.ca