Jean-Claude Duvalier n'a encore rien dit. Et ce silence a entretenu un mystère qui a laissé libre cours, tout au long de la journée d'hier, à tous les étonnements et à toutes les supputations.

Jean-Claude Duvalier n'a encore rien dit. Et ce silence a entretenu un mystère qui a laissé libre cours, tout au long de la journée d'hier, à tous les étonnements et à toutes les supputations.

Vu de l'étranger, le retentissant retour chez lui du dictateur déchu (lequel, à en juger par sa mine, n'est pas dans une forme éclatante) est en effet une incongruité que la raison se refuse à admettre. Un mystère. Et pas seulement quant aux intentions de celui qui fut en son temps le plus jeune chef d'État au monde.

Par exemple: comment a-t-on pu laisser Bébé Doc libre comme l'air à sa descente de l'avion d'Air France, dimanche? Lui qu'on jurait il n'y a pas si longtemps de traîner devant la justice pour les exactions sans nom et les spectaculaires détournements de fonds commis alors que, à la suite de son père, il tenait le peuple haïtien en otage, entre 1971 et 1986?

Et plus encore: par quelle incompréhensible panne de la mémoire historique, des Haïtiens ont-ils pu accueillir Duvalier à bras ouverts, comme on l'a vu aux abords de l'aéroport? Et ne pas complètement rejeter la possibilité que cet homme-là puisse, s'il le souhaite, «retourner aux affaires», comme on dit en France - là où le spoliateur a joui impunément de la vie de pacha, à 7000 kilomètres de ses concitoyens accablés de misère?

À tout cela, il n'y a pas de justification.

Mais il y a une explication.

Une explication qu'à l'étranger (par exemple, notre «étranger» à nous, qui sommes confits dans l'opulence et la sécurité), on peut avoir du mal à comprendre.

Elle tient essentiellement en ceci. Dans certaines situations, des êtres humains sacrifieront volontiers une large part de liberté pour être en sécurité - physique, mais aussi psychologique et alimentaire - avec leur famille, chez eux, dans leur hameau, dans leur ville. Des Haïtiens ont bel et bien noté que, «à l'époque (de Duvalier), on pouvait circuler dans la rue sans être agressé»...

C'est pour cette raison que des Irakiens ont dit regretter le régime de Saddam Hussein; des Russes, s'ennuyer de l'époque stalinienne; d'ex-Allemands de l'Est, cultiver l'«ostalgie»!

Or, les Haïtiens se trouvent dans une situation bien plus accablante encore. De sorte qu'ils peuvent avoir oublié - ou se convaincre d'avoir oublié - les tontons macoutes et les fourberies du duvaliérisme. D'autant plus facilement que la moitié de la population du pays n'était pas née lorsque le fils Duvalier a fui...

Aujourd'hui même, Bébé Doc devrait s'expliquer, a-t-on indiqué dans son entourage.

Mais, pour bien faire, il ne devrait pas être le seul. Puisque toutes les théories circulent, on aimerait comprendre aussi l'attitude dans cette affaire du gouvernement haïtien toujours en fonction (le deuxième tour de la présidentielle a été remis), celui de René Préval.

Car c'est un autre mystère, ça aussi.