Avec cette façon toute simple de dire les choses qui a toujours été la sienne, Jean Lapointe a accueilli l'hommage en confessant (à la SRC): «Moi, je vais vous avouer honnêtement, je ne suis pas un acteur ni un comédien. Je n'ai aucune notion, je n'ai aucune technique»...

Avec cette façon toute simple de dire les choses qui a toujours été la sienne, Jean Lapointe a accueilli l'hommage en confessant (à la SRC): «Moi, je vais vous avouer honnêtement, je ne suis pas un acteur ni un comédien. Je n'ai aucune notion, je n'ai aucune technique»...

Aucune technique?

Qu'est-ce qui, à ce moment-là, fait en sorte que sa bonne bouille de Canadien-français catholique ordinaire est probablement celle qui perce nos écrans, le grand et le petit, de la façon la plus spectaculaire et la plus attachante depuis plus de 40 ans? Et ce, du chauffeur de taxi des Ordres jusqu'au grand-père de l'Origine d'un cri, en passant par le Duplessis qu'il a ressuscité pour la télévision et le vieux malfaiteur du Dernier Tunnel?

Mais, en fait, Lapointe a raison: rien de ce qu'il fait devant les caméras ne tient de la technique. Lorsqu'on pense à l'art qu'il déploie sur les plateaux, on pense plutôt aux maîtres du naturel et de l'instinct, aux masses brutes d'humanité et de vérité, à Gabin ou à Duceppe...

Le 13 mars prochain, Jean Lapointe, 75 ans, recevra donc le prix Jutra-hommage pour l'ensemble de sa contribution au cinéma d'ici.

C'est tellement mérité, c'était tellement couru, que ça en devient presque banal. D'instinct, justement, Lapointe a «travaillé» un aspect, un rôle, un devoir, du cinéma qui est essentiel. Celui de la représentation à l'usage de tous de l'identité nationale, mais sans l'assommant fatras politico-nationaleux. Celui de la communion dans des références et des manières communes, mais sans l'habituelle logorrhée socio-songée.

Sans doute l'ex-sénateur n'est-il pas le seul. Mais il a fait plus que sa part. C'est peut-être la grosse machine du cinéma qui ne fait pas la sienne.

Ce déficit culturel se chiffre.

En 2010, les films québécois n'ont occupé que 8,8% de l'«espace» cinématographique disponible ici. C'est le plus médiocre résultat depuis 2002; moins de la moitié de ce qu'on a obtenu en 2005 (18%); le quart de ce que réussit la France chez elle (35,5%, étant admis que cette comparaison est un peu injuste).

En clair: contrairement à la télévision, la chanson ou le livre, le cinéma québécois ne réussit pas à imposer sur son territoire les images, les actions et les discours qui nous ressemblent, nous décrivent et nous parlent.

Il n'est pas question ici d'opposer cinéma «commercial» à cinéma «d'auteur»: le fait que les deux films québécois les plus vus en 2010 aient été Piché: entre ciel et terre et Incendies relativise ce débat paléolithique. Pas question non plus de fric, mais de présence: «Si on abandonne, il ne va y avoir que des blockbusters américains. Le cinéma québécois ne sera plus là...», dit (à la PC) Michel Côté, qui a lui aussi beaucoup fréquenté les plateaux - et le cockpit du commandant Piché!

Pour le cinéma québécois, le défi consiste bel et bien, avant toute chose, à occuper l'espace qui lui est dû.