De tous les arsenaux nucléaires, c'est celui du Pakistan qui soulève le plus d'inquiétudes (la bombe de la Corée du Nord n'étant pas encore opérationnelle). C'est un fait archiconnu, rappelé par les récentes fuites «diplomatiques». Il s'agit d'inquiétudes quant à la sécurité de cet arsenal en tant que tel; de la matière fissile; de la technologie; de l'État pakistanais lui-même, déchiré entre des pouvoirs plus ou moins antagonistes; des relations fluctuantes ou ambiguës du Pakistan avec l'Inde et avec l'Ouest.

Dans un «câble» divulgué aux médias, l'ambassadrice américaine Anne Patterson évoquait en particulier le spectre d'un détournement de matière fissile pratiqué de l'intérieur.

Or, comme dans un ballet bien réglé, Islamabad a réfuté ces craintes, hier, 24 heures après la divulgation. Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères les a qualifiées de «déplacées», ajoutant qu'«il n'y a jamais eu un seul incident concernant notre combustible fissile».

C'est exact.

Mais, avec l'atome, peut-on attendre un seul incident?

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De fait, la situation est à bien des points de vue aussi dangereuse - mais d'une tout autre manière - qu'elle ne l'était au moment de l'implosion de l'URSS, alors qu'une formidable quincaillerie nucléaire était dispersée, sommairement gardée, aux quatre coins de l'empire. Cependant, les républiques devenues indépendantes avaient accepté de s'en départir, de la détruire ou de la sécuriser, accueillant l'aide internationale, surtout américaine, pour ce faire.

Détail intéressant: en cette ère pré-WikiLeaks, cette aide s'était largement déployée dans le secret, comme le raconte aujourd'hui de façon passionnante le journaliste David E. Hoffman dans The Dead Hand (La main morte, non traduit en français).

Bref, rien à voir avec les problèmes posés par l'arsenal pakistanais...

Le Pakistan posséderait donc une force nucléaire comprise entre 70 et 90 bombes, réparties en différents endroits dont certains sont totalement secrets. Et il entretient huit usines d'enrichissement de l'uranium. Des dizaines de milliers de techniciens et ingénieurs, dont quelques centaines de très haut niveau, oeuvrent dans le nucléaire, triés par les... services secrets pakistanais, parfois proches des islamistes. L'armée elle-même a des liens avec quatre groupes terroristes et/ou islamistes, dont les talibans afghans!

En pratique, «le gouvernement perd de plus en plus de territoire au profit de groupes militants autochtones ou étrangers (et) la bureaucratie se dégrade à un niveau de médiocrité digne du tiers-monde», constate la BBC, qui se trouve visiblement à un cheveu de considérer le Pakistan comme un État failli.

Bien entendu, on ne connaît pas le niveau de sécurité réel, pratico-pratique, existant autour du nucléaire pakistanais. Et ce n'est pas WikiLeaks, essentiellement dépendant des sources américaines, qui va nous l'apprendre.

Par conséquent, il faut juste espérer que la diplomatie secrète - s'il en reste! - fait correctement son boulot en s'assurant qu'un oeil extérieur veille au grain.