Nous publions aujourd'hui le deuxième de trois éditoriaux sur la culture au XXIe siècle.

Le fait emblématique de la puissance de la culture en ce début de XXIe siècle réside peut-être dans un événement combinant tout à la fois la création, l'information, les idées, la religion... et la violence meurtrière. C'est l'épisode, pas tout à fait terminé puisqu'il porte encore à conséquence, des caricatures danoises de Mahomet.

Il s'agit d'un indigeste condensé de ce qu'il ne faut pas que les guerres culturelles, en soi inévitables, deviennent à l'avenir.

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Parlant du Choc des civilisations, titre de l'ouvrage dont la première mouture remonte à 1993 et qui lui a valu la notoriété, Samuel Huntington prédisait: «Dans ce monde nouveau, les sources fondamentales de conflit ne seront pas d'abord idéologiques ou économiques (mais) culturelles.»

Le politologue identifiait plus d'une demi-douzaine de souches culturelles distinctes et prévoyait des affrontements à géométrie variable entre elles.

Or, ceux-ci se produisent bel et bien un peu partout dans le monde. Mais ces affrontements demeurent en général non armés... sinon avec des armes «culturelles». Le savoir, objet d'une féroce compétition mondiale entre universités et entre centres de recherche. Les idées, qui «mènent le monde... surtout les mauvaises», disait le philosophe Jean-François Revel. La langue: l'espagnol contre l'anglais aux États-Unis, par exemple. L'information, que nous avons vue, hier. La création, que nous verrons, demain.

Cependant, le 11 septembre 2001, un des protagonistes s'est singularisé en faisant basculer un univers de conflits culturels soft dans un enfer de sang et de feu.

Depuis lors, l'islamisme mène une offensive mondiale (à distinguer des luttes classiques, territoriales ou autres, faites en son nom) dont la motivation est immatérielle : une vue de l'esprit, largement meublée par l'imaginaire, soutenue par une fiction religieuse. En ce sens, davantage qu'une civilisation ou une idéologie, l'islamisme est bel et bien une culture. Ce n'est donc pas un hasard si cette culture cible en priorité celle des «infidèles».

De la destruction des bouddhas de Bamiyan à l'assassinat du cinéaste Theo van Gogh en passant par la condamnation à mort de romanciers, d'essayistes et de caricaturistes, la culture islamiste a ainsi gagné une bataille. Non seulement a-t-elle fait des milliers de victimes. Mais encore l'Occident se soumet-il en censurant ses journaux, ses livres, ses opéras, ses expositions muséales, ses émissions de télé, ses forums d'idées, par crainte de sanglantes représailles.

Cependant, il faut mettre les choses en perspective.

Certes, l'offensive islamiste est accaparante, meurtrière et probablement destinée à durer longtemps. Mais elle ne pèse pas lourd face au mouvement de fond de la mondialisation et de la démocratisation des cultures, qui est le phénomène central de ce siècle.

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