Plusieurs avaient prévu que les différents acteurs non-étatiques agissant dans le monde auraient, au XXIe siècle, le pouvoir de résister ou même de soumettre des États. Depuis 2001, on a surtout mis en observation la variante terroriste des organisations non-étatiques. Mais la variante criminelle est tout aussi dangereuse, sans compter l'interaction existant souvent entre les deux.

Plusieurs avaient prévu que les différents acteurs non-étatiques agissant dans le monde auraient, au XXIe siècle, le pouvoir de résister ou même de soumettre des États. Depuis 2001, on a surtout mis en observation la variante terroriste des organisations non-étatiques. Mais la variante criminelle est tout aussi dangereuse, sans compter l'interaction existant souvent entre les deux.

Parlez-en aux Jamaïcains.

Depuis cinq jours, la capitale de leur pays est en état de siège. S'y affrontent les forces gouvernementales et les troupes du plus puissant chef de gang et baron de la drogue de Kingston, Michael Christopher «Dudus» Coke (comme dans cocaïne: ça ne s'invente pas!) dont le pouvoir s'étend jusqu'en Amérique du Nord et en Grande-Bretagne.

En fin de journée, hier, le bilan de ces combats faisait état de plus d'une cinquantaine de victimes.

La cause immédiate de l'affaire est une demande d'extradition de Coke déposée par les États-Unis auprès du gouvernement jamaïcain dirigé par Bruce Golding. Celui-ci l'a d'abord reçue sans enthousiasme - on verra pourquoi. Puis, mis sous pression, il a décidé d'y donner suite, quitte à dépêcher un millier de soldats et policiers pour fouiller une à une les demeures du quartier miséreux de Tivoli Gardens, où règne Dudus.

Dès ce moment, la table était mise pour la violence meurtrière qui fait rage depuis.

Même en temps normal, on tue beaucoup en Jamaïque. Le taux d'homicide, le troisième plus élevé au monde, y est de 32,5 victimes par 100 000 habitants.

On parle donc d'une sorte d'état de guerre permanent, comme en Colombie (championne de l'assassinat: 62 par 100 000) et pour les mêmes raisons. C'est-à-dire: une tradition de violence politique et/ou criminelle, les deux se renforçant mutuellement le cas échéant; et les divers trafics, surtout de drogue, mais aussi d'armes et d'êtres humains, nourrissant un «para-État» mafieux d'une puissance telle qu'il influe sur l'administration de l'État légitime... et ce, sans nécessairement s'aliéner la totalité de la population.

C'est l'exact portrait de la Jamaïque.

Michael Christopher Coke, successeur de son père qui exerçait le même «métier», n'est pas seulement un baron de la drogue. Homme d'affaires, il a obtenu des contrats du gouvernement jamaïcain. Leader social, il s'est débrouillé pour être vu comme une sorte de Robin des Bois tout en se rendant indispensable dans la sphère politique. En clair: personne n'est élu sans composer avec Dudus ou avec d'autres figures du même type, cela incluant l'actuel premier ministre (hier, il a nié vigoureusement toute affiliation).

Bref, comme c'est le cas pour le terrorisme, éradiquer ce contre-pouvoir non-étatique est une entreprise à long terme pour laquelle il n'existe aucune feuille de route absolument sûre... la seule certitude étant que rien ne peut évoluer sans l'intégrité au moins relative des hauts dirigeants de l'État.