Après un demi-siècle de luttes, la quête d'un nouveau modus vivendi entre les sexes accuse au Québec un retard que d'autres nations sont mieux parvenues à combler. Ailleurs, on s'intéresse en effet depuis des années aux impacts sur les deux sexes de la révolution féministe, de la mutation de la famille, des bouleversements sexués dans l'éducation, le travail, les soins de santé.

Ici, le concept même de condition masculine est inexistant. Ce qui ne laisse qu'un vide en face de la réalité confortablement institutionnalisée, dominante par défaut, de la condition féminine. Et les tentatives souvent maladroites de combler ce vide sont accueillies par le sarcasme et le mépris... exactement comme le furent les premières sorties du féminisme de combat dans les années 60 et 70.

Pourtant, on connaît par coeur les problèmes spécifiques aux hommes et aux garçons. Suicide et mort précoce. Exclusion des systèmes de santé et d'éducation. Pauvreté extrême des sans-abri, absence de ressources dédiées et démission de l'État. Profilage sexiste dans la fiction, la publicité, les médias, la littérature étatique et universitaire.

Pourquoi, à la fin, doit-on droguer massivement les garçons (29 millions de comprimés par année, au Québec, de Ritalin et assimilés !) pour qu'ils puissent fonctionner dans ce système ?

On commence heureusement à s'interroger, ici, sur cette petite noirceur.

«L'homme, pour survivre, doit aujourd'hui comprendre ce qui lui arrive... N'est-il pas temps que les hommes se pensent maintenant en tant qu'hommes et se définissent hors du cercle de la pensée féminine?» demande François Brooks, membre du collectif d'auteurs qui signent un ouvrage sur la condition masculine (300 000 femmes battues/Y avez-vous cru?).

En France et aux États-Unis, une vaste littérature se développe depuis longtemps autour de ce thème.

Déplorant l'attitude des hommes qui, face au nouveau rapport des sexes, «le nient, le subissent ou régressent silencieusement», Élisabeth Badinter appelait déjà en 1986 à «une réponse des hommes au changement qui leur a été imposé» (dans: L'un est l'autre). Les hommes devraient prendre exemple sur l'efficacité de leurs compagnes, conseille Kathleen Parker (dans, nous traduisons: Sauvons les mâles), alors qu'eux-mêmes «ont toujours, après 20 ans de travail, non pas à consolider, mais d'abord à faire émerger un mouvement de revendication masculine»!

Néanmoins, ce mouvement finira bien par pousser.

Il faudrait juste qu'il évite les erreurs de jeunesse. Entrer dans une logique d'affrontement, par exemple, serait improductif car le féminisme moderne, lui, a renoncé à cette dynamique. (Sa vieille version guerrière est en effet éteinte, sauf dans quelques cavernes étatiques et universitaires où elle sert d'artefact paléontologique.)

Beaucoup plus tard, lorsqu'un niveau supérieur de maturité aura été atteint, c'est à la condition humaine, simplement, qu'hommes et femmes consacreront leurs réflexions et leurs efforts.