À en croire les grands médias, nous vivons aujourd'hui l'âge d'or de la tyrannie et de la dictature. Heureusement, l'une et l'autre sont dénoncés par les chiens de garde que sont, justement, les médias. Alors sûrement la «dictature de la beauté», démasquée par La Presse, en arrive-t-elle enfin à son terme. Tout comme la «tyrannie du plaisir», clouée au pilori par Le Devoir...

Ce ne sont que des mots, bien sûr. Des expressions qui se proposent de faire image et d'enrôler le lecteur dans une guerre sans merci contre ce que les médias estiment être un impitoyable fléau. Ainsi en est-il de la «tyrannie du courriel». Ou de la «dictature du bon goût».

 

Il n'en est pas moins remarquable que ces deux mots ne sont plus que rarement utilisés pour décrire ce qu'ils sont censés évoquer: des régimes politiques totalitaires, ou à tout le moins autoritaires, qui brisent ou même enlèvent la vie de leurs commettants!

Or, on ne se souvient pas que quiconque ait jamais été opprimé ou assassiné par le plaisir ou par le bon goût...

Ce continuel détournement de mots est sans importance?

Erreur.

Ce serait oublier à quel point la perception de la réalité est façonnée par l'écrasante présence des médias. (Anecdote: aux Jeux de Vancouver tout juste clos, se trouvaient 10 800 journalistes... mais seulement 2632 athlètes!) C'est oublier aussi que le commun des mortels n'est pas nécessairement capable de décoder ces fantaisies médiatiques: 40% des adultes canadiens ont un niveau de littératie insuffisant.

Pour bien comprendre les médias, chacun devrait savoir, en effet, que ceux-ci parlent d'un «tabou» pour désigner un sujet exploité tout le temps, par tout le monde, sur toutes les ondes et dans toutes les salles de rédaction - voir: le «tabou de l'inceste». Savoir aussi que les médias utilisent le mot «cliché» pour identifier une opinion préjugée que personne, absolument personne, ne professe. Ainsi, une radio a déjà parlé de «clichés sur les Bulgares»! Que diable peuvent-ils être? Que tous les Bulgares ont de petites voix surnaturelles comme sur les disques du Mystère des voix bulgares?

De même, «sensibiliser», «réclamer un débat» ou «exiger une consultation publique» indique que le sujet a l'intention de se livrer, sans état d'âme et sans consentir au moindre dialogue, à une campagne intensive de propagande. Parler des «exclus» n'est pas la même chose que parler des personnes pauvres puisque le terme implique une culpabilité externe qu'il faut évidemment «dénoncer». Enfin, prêcher la «tolérance» indique qu'on ne tolérera aucune dissidence sur ses modalités d'application...

C'est ce qu'on appelle la... dictature des médias.