L'architecture physique et mentale de l'être humain indique-t-elle qu'il s'agit d'un animal surtout fait pour l'affrontement ou alors pour la collaboration? La question revient dans l'actualité avec le décodage des restes d'une de nos lointaines aïeules prénommée Ardi. Elle est plus vieille encore que Lucy puisqu'elle a vécu il y a 4,4 millions d'années, en Afrique de l'Est. Dans sa dernière livraison, la revue Science expose les conclusions qu'il est possible de tirer de l'examen de ses ossements.

L'une de ces conclusions est que grand-mère était mal outillée pour se battre: par exemple, la dentition d'Ardi est dépourvue de longues et dangereuses canines destinées à l'attaque, comme celles des chimpanzés.

 

Ainsi, Ardi est plus proche des gorilles et des bonobos, ces singes «qui apprécient tellement l'amour et la paix qu'ils feraient rougir un vétéran de Woodstock!» commente, dans le Wall Street Journal, Frans de Waal. Celui-ci est un spécialiste des primates qui vient de publier (nous traduisons) L'Âge de l'empathie/Leçons de la nature pour une société meilleure, ouvrage qui traite précisément des qualités «sociales» des singes.

On sait que tous les animaux, dont l'être humain, sont programmés pour défendre par la violence, s'il le faut, les frontières de leur territoire ainsi que l'accès aux ressources et à la reproduction. Essentiellement, de Waal soutient que, chez les mammifères supérieurs, cette programmation prévoit aussi la collaboration et même la compassion. «La théorie jadis populaire du singe tueur s'écroule par manque de preuves et Ardi la détruit complètement», illustre le primatologue.

Selon lui, on ne trouve pas de traces de conflits à grande échelle chez les hominidés avant la révolution agricole, il y a plus ou moins 15 000 ans.

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Il est intéressant de se demander ce qui s'est passé à partir de ce moment. Frans de Waal n'aborde pas le sujet, mais on peut spéculer...

Ainsi, les bêtes, même lorsqu'elles tuent, n'éprouvent pas de sentiment de haine. Les hommes, oui. Ils aiment la haine, la valorisent, la prêchent. «Haïssez autrui!» est une injonction aujourd'hui courante, dont on retracerait sûrement la genèse dès l'aube des sociétés plus complexes et organisées.

Car la haine est un sentiment «supérieur».

Et si elle est inutile dans la protection des territoires, des ressources ou des partenaires, elle devient nécessaire pour défendre les abstractions que l'être humain s'invente tôt après sa sédentarisation et qui demeurent aujourd'hui: le pouvoir par la thésaurisation, la foi religieuse et l'identité collective (de la tribu à la nation) sont les premiers exemples qui viennent à l'esprit.

Cette bonne vieille Ardi n'y avait pas pensé et était donc incapable de haine.

C'était un être inférieur, évidemment.