Chacun sait que le massacre du 11 septembre 2001 a causé près de 3000 morts. Ce qu'on sait moins, c'est qu'il a fait par la suite un grand nombre de victimes supplémentaires : ces gens qui, terrorisés à l'idée de prendre l'avion, se sont rués sur les routes au volant de leur voiture et ont péri dans des accidents.

Ayant scruté ce phénomène, Gerd Gigerenzer, psychologue à l'Institut Max-Planck de Berlin, a établi que cette période d'un an de frayeur extrême a coûté la vie à 1595 usagers de la route aux États-Unis, c'est-à-dire plus de la moitié du bilan des attentats eux-mêmes. En temps ordinaire, ces personnes auraient pris l'avion, infiniment plus sûr que l'automobile, et seraient encore en vie.

Elles sont mortes de peur.

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Subitement jeté dans la modernité, toute nouvelle pour lui à l'échelle de l'évolution (la première ville, Ur, a été fondée il y a à peine 4600 ans), l'être humain est malhabile dans l'évaluation instinctive des risques contemporains. C'est une des raisons pour lesquelles la peur de la violence - terreur, crime, accident - est sans commune mesure avec le risque réel de périr ainsi.

Or, dans les faits, la violence de toutes natures n'a cessé de décroître au fil des siècles et des décennies. Des 55 800 personnes mortes au Québec en 2005, la totalité des accidents (auto, travail, sport, noyade, chutes, etc.) en a tué 2155 ; le crime, 100 ; le terrorisme... aucune. Au total, c'est un décès sur 25 !

Pourquoi, alors, la violence effraie-t-elle autant ?

«Nous surestimons la possibilité de mourir lors des événements qui font les manchettes (mais) sous-estimons la probabilité de mourir lors des événements qui sont passés sous silence», constate le journaliste canadien Dan Gardner dans Risque / La science et les politiques de la peur. Celui-ci reprend les thèses de sociologues qui jumellent la naissance de la culture de la peur à l'apparition des médias «modernes».

Mais il n'y a pas qu'eux. La peur est l'un des produits les plus rentables offerts sur le marché.

Rentable politiquement. En 2004, George W. Bush s'est fait réélire... de peur : la peur de la terreur ! Mais surtout, rentable économiquement. L'industrie emblématique de ce phénomène est certainement celle de la sécurité privée. Elle est en plein essor, ici comme ailleurs. Depuis 2001, le nombre de « privés » a dépassé celui des policiers au Canada, l'industrie croissant de 5% à 7% par année. Et c'est le Québec qui a le plus grand nombre de policiers privés par habitant (343 par 100 000).

Est-ce que nous, Québécois, réputés pour notre prudence normande et notre boulimie de polices d'assurance, baignons davantage que les autres dans la culture de la peur ?

C'est à craindre... pour ainsi dire.