Quand une manifestation visant à appuyer une cause que l'on peut estimer juste devient-elle contreproductive en retournant l'opinion publique contre elle? Jusqu'à quel point peut-on «importer» des conflits étrangers pour les projeter dans l'arène politique canadienne? Et que peut faire le Canada dans des régions du monde où son influence est égale à zéro... alors que même l'ONU s'y révèle impuissante?

Ces questions surgissent après la manifestation qui a eu lieu, dimanche soir, dans le centre-ville de Toronto. Elle regroupait plus de 3000 personnes de la communauté tamoule, qui compte 250 000 ressortissants dans cette ville. Cette foule a, sans avertissement, bloqué pendant six heures l'autoroute Gardiner, l'une des plus achalandées au pays.

 

Depuis plusieurs semaines, les Tamouls ont organisé plusieurs marches et démonstrations, à Ottawa, Montréal et Toronto, comme ailleurs dans le monde. Hier encore, l'agitation se poursuivait dans la ville-reine.

La communauté tamoule veut pousser Ottawa à exercer d'autres pressions sur Colombo afin que le gouvernement sri-lankais cesse ses opérations militaires contre les Tigres tamouls, opérations dont les civils coincés dans la zone d'affrontement font les frais. L'ONU parle d'un véritable «bain de sang», point culminant d'une guerre d'indépendance qui dure depuis plus de 30 ans et a fait 60 000 morts.

Quoi qu'il en soit, dimanche soir, une situation délicate et même dangereuse s'est créée à Toronto, en raison de l'endroit utilisé et de la présence de nombreux enfants dans les rangs des manifestants. Les Torontois, qui sont en général fiers d'habiter la métropole multiculturelle du pays, ont répliqué par des commentaires empreints de colère sur le site web des quotidiens et diffuseurs locaux.

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Hier, la ministre canadienne de la Coopération internationale, Bev Oda, a réclamé des militaires sri-lankais et des rebelles qu'ils acceptent un cessez-le-feu et laissent les travailleurs humanitaires faire leur travail dans la zone de conflit. La ministre s'était déjà rendue au Sri Lanka afin de plaider la cause de la paix et offrir de l'aide.

Le Canada peut-il faire beaucoup plus? C'est douteux.

Au surplus, l'affaire est politiquement délicate à manier.

À Toronto, plusieurs drapeaux des Tigres de libération de l'Eelam tamoul flottaient au-dessus des manifestants. Or, il s'agit d'un mouvement terroriste qui a historiquement fait une utilisation à grande échelle d'enfants-soldats et d'attentats suicide. Bref, ces drapeaux ont provoqué le même malaise que ceux du Hezbollah brandis dans des manifestations «en faveur de la paix» israélo-palestinienne... En conséquence, les personnalités politiques qui sont intervenues dans le dossier, du premier ministre ontarien Dalton McGuinty au chef libéral Michael Ignatieff, ont dû s'adonner à un délicat jeu d'équilibre, hier, en condamnant la situation au Sri Lanka sans appuyer la manifestation torontoise en tant que telle.

Au total, c'est peut-être déplaisant à entendre pour les paisibles Canadiens d'origine tamoule qui craignent légitimement pour leurs proches restés au pays, mais ce n'est pas sur une autoroute torontoise que ce conflit horrible (y en a-t-il d'autres sortes?) va se régler.