Pour décrire les planches de Michel Rabagliati et le charisme de son personnage, Paul, on a déjà épuisé le dictionnaire des superlatifs. Pourtant, Paul est tout jeune: il est «né» il y a 10 ans à peine. Et il n'a eu le temps de vivre que six aventures, à la campagne, ou en appartement, ou à la pêche ou dans le métro. Or, nonobstant sa grande jeunesse, «Paul est-il devenu le Tintin du Québec?» se demande Le Devoir.

De fait, le dernier album de Rabagliati, Paul à Québec, a été tiré à 16 000 exemplaires, alors qu'un grand succès dans le monde de la bédé québécoise consiste à en écouler 800. Les «Paul» sont traduits et vendus à l'étranger. Des produits dérivés commencent à faire une timide apparition.

 

Bref, la créature du bédéiste de Montréal est en train de s'ancrer dans l'imagerie et la culture populaires, un peu de la même façon que Beau Dommage ou Yves Beauchemin: par la géniale narration du réel, du quotidien, de l'ordinaire. Ce qui, contre toute apparence, est une chose extraordinairement difficile dans toutes les formes d'expression artistique, et peu courante dans le monde de la bande dessinée locale.

 

Autant par cet aspect de son oeuvre que par son coup de crayon souple, épuré, plein de rondeurs, Rabagliati possède une filiation avec Albert Chartier, sans doute le premier grand bédéiste québécois, qui créa en 1943 le personnage d'Onésime. Celui-ci arpenta le réel, lui aussi, mais dans le monde rural (il était publié dans le Bulletin des agriculteurs) et s'assura une immense popularité.

Quant à Paul, c'est un héros improbable: un homme dans la quarantaine qui a un passé, un métier, une famille, une vie faite de joies et de tracas banals. Et qui s'en sort comme la majorité des gens s'en sortent, au jour le jour, avec coeur, bon sens et pragmatisme.

Il y a là-dedans quelque chose d'apaisant et de beau, qui ratisse large en termes de public et qui concourt sûrement aussi au succès des «Paul» de Michel Rabagliati.