Une première femme militaire québécoise a été tuée par les talibans, en Afghanistan. Karine Blais avait 21 ans et ne se trouvait en mission que depuis quelques jours à peine. Une autre combattante des Forces armées canadiennes a péri dans ce conflit en 2006, ainsi que deux travailleuses humanitaires.

Il fait peu de doute que, outre les devoirs inhérents à leur engagement militaire ou social, toutes ces femmes se sentaient à un degré ou à un autre solidaires de leurs soeurs afghanes. Être femme, en effet, n'est pas un attribut que l'uniforme détruit ou que l'on met de côté en certaines circonstances.

 

Solidaires, donc, de la militante féministe Sitara Achakzai, abattue il y a trois jours à Kandahar. De la policière Malalai Kakar, chargée du département des crimes contre les femmes, tuée aussi à Kandahar il y a six mois. De Safia Amajan, responsable de la Condition féminine dans la province de Kandahar, assassinée il y a 30 mois. Des fillettes et des adolescentes aspergées d'acide parce qu'elles allaient à l'école, toujours dans la même région. Des femmes chiites promises à la soumission par le projet de loi dit du «viol conjugal»...

«Jadis, je croyais. De toutes les fibres de mon être, en tant que femme musulmane féministe, je croyais à notre mission en Afghanistan. Je n'y crois plus», écrit (dans le Globe and Mail) Irshad Manji, Canadienne d'origine ougandaise et auteure de Musulmane mais libre, que nous avons souvent citée ici.

Manji ajoute: «Je ne sais plus ce que voudrait dire: gagner.»

Voilà toute la question, en effet.

En Afghanistan, peut-être pourra-t-on un jour atteindre une certaine stabilité en y déployant la force nécessaire et en négociant avec certains de ceux qui, de facto, exercent le pouvoir. Mais ce sera tout. Car la puissance conjuguée du tribalisme et de la religion sera dans un avenir prévisible à l'épreuve des balles. Dans les trop rares coins du monde où on s'est débarrassé totalement du premier et en bonne partie de la seconde, cela a pris des siècles. Et ça ne s'est pas fait par les armes.

En fait, le tribalisme et surtout la religion (c'est-à-dire: le repli identitaire dans sa forme la plus primitive et surtout la déraison) gagnent du terrain.

Au Pakistan voisin, le président Asif Ali Zardari a signé il y a trois jours une entente avec les chefs tribaux et les talibans de la vallée de Swat, laquelle ratifie le vote parlementaire et instaure la charia. En égorgeant des infidèles et en incendiant des écoles, les «étudiants en théologie» se sont donc appropriés une région jadis ouverte, à 100 kilomètres d'Islamabad. Ils cherchent maintenant à étendre leur pouvoir dans les districts voisins. Terrorisés, des milliers de citoyens fuient.

Car au tribalisme et à la religion, s'ajoute la peur.

À l'Université de Kaboul, une étudiante dit (à Canwest News Service): «Nous ne voulons pas une totale liberté. Nous voulons qu'elle soit limitée et se situe à l'intérieur de l'islam.» Mais une de ses camarades dit aussi: «Quand je vais au lit, j'ai du mal à dormir (de peur) que la résidence des étudiantes soit détruite...»

C'est le cercle vicieux que l'on voit se refermer en Afghanistan et au Pakistan: la peur inspirée par la religion et la religion intériorisée par la peur.

Tout le courage - et il est grand - des hommes et des femmes qui portent l'uniforme peut-il vraiment y faire quelque chose?

On ne sait plus.

mroy@lapresse.ca