Briguant la présidence américaine en 1948, le républicain Thomas Dewey avait interdit à son organisation d'utiliser la pub télé: on ne vend pas un programme politique comme un détersif, estimait-il. Soixante ans plus tard, Barack Obama, lui, a choisi de devenir le premier président en exercice à fréquenter un talk-show de fin de soirée, celui de Jay Leno à la chaîne NBC.

Excellent vendeur, Obama n'a actuellement à offrir qu'une potion économique difficile à avaler. C'est pourquoi il est monté sur cette sorte de boîte à savon virtuelle: le Tonight Show attire de cinq à six millions de téléspectateurs - et probablement beaucoup plus, jeudi soir dernier.

 

À travers des considérations plus légères, le président a pu longuement s'exprimer sur la crise financière. Ainsi, il a joué de prudence en commentant le vote, le jour même, de la Chambre des représentants. Celle-ci réclame la saisie par l'État de 90% des primes de 165 millions$US encaissées par les cadres de la firme AIG, sauvée par les deniers publics. Cette affaire, on le sait, scandalise l'Amérique et écorche une présidence qui n'en est qu'à son 60e jour. «Je comprends la frustration du Congrès», a-t-il dit, mais il serait préférable à l'avenir de «fermer la porte de la grange avant que les chevaux s'en échappent».

Cette chronique animalière s'est terminée avec l'engagement pris par Obama de doter la Maison-Blanche d'un... premier chien avant la fin avril.

La presse américaine grogne: la prestation d'Obama chez Leno «amoindrit la dignité de la présidence et rabaisse l'homme au rang d'une célébrité vendant son film ou son livre sur le circuit des talk-shows» (US News and World Report).

 

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Cette opinion n'est pas isolée, ce qui marque la fin de la lune de miel de Barack Obama avec les médias. Surtout que le président a aussi choisi de n'apparaître ni à l'iconique émission Meet The Press (NBC) ni au dîner du Gridiron Club, banquet annuel plutôt guindé de l'élite des scribes de Washington.

On n'amoindrit pas ainsi la... dignité journalistique sans en subir les conséquences.

Or, il existe une telle chose que le «style Obama», peaufiné pendant la campagne et auquel le président n'entend visiblement pas renoncer. Un style fait d'une touche de populisme et du souci d'un contact direct avec la population: en Californie, il aussi participé à des town hall meetings, version glorifiée des assemblées de cuisine.

Ce que Barack Obama a à vendre en ce moment, c'est beaucoup plus que du détersif. On verra à l'usage si sa lessive économique lavera plus blanc mais, en attendant, on ne voit pas pourquoi le président aurait dû renoncer à sa façon de faire. Ni à la boîte à savon glissée sous ses pieds par Jay Leno.