Tout Québécois connaît la différence entre le froid et le frette. Le second est le produit du premier multiplié par le facteur éolien additionné à la haine de l'hiver à la puissance mille. Dire «Y va faire frette» annonce une catastrophe réfrigérante de première grandeur qui, comme une bonne tempête de neige, vide les rues et fait bondir l'auditoire de la chaîne MétéoMédia.

Aujourd'hui, demain et vendredi, par exemple, il va faire frette, à ce qu'on en prévoyait, hier. À Montréal, on parle de températures comprises entre -18 et - 33 degrés, sans compter le fameux facteur de refroidissement éolien qui, selon nos savants calculs, portera la température ressentie à -1000!

 

Toutes les Miss Météo de ce monde nous préviennent depuis des jours: ce sera l'enfer.

Hydro-Québec huile ses turbines. Ceux qui le peuvent organisent quelques jours de télétravail. Des parents se demandent s'il ne faudrait pas fermer les écoles. Sous la rubrique Comment traverser une vague de froid, on recommande de tout prévoir, du nécessaire de survie pour la voiture jusqu'au plombier pour dégeler les tuyaux.

Sommes-nous en train de perdre la guerre contre l'hiver alors que, au fil des siècles, nous avions gagné tant de batailles? On le dirait.

La preuve est désormais faite que nous ne sommes plus capables de bien déneiger une ville: compétence perdue ou négligence institutionnelle? Il est patent aussi que le système d'aqueduc, oublié pendant des décennies, éclate de toutes parts, ne pouvant plus supporter l'alternance du gel et du dégel - bien sûr, investir sous la chaussée n'est pas la chose la plus politiquement rentable...

Mais plus profondément encore, il y a une question d'attitude. Le style de vie qu'on mène repose en fait sur l'hypothèse que l'hiver n'existe pas. L'idée que les phénomènes naturels les plus banals puissent imposer le moindre changement dans l'activité quotidienne est insoutenable. Les jours de grand froid ou de grosse neige prennent alors figure d'insultes personnelles, d'attentats méchamment perpétrés contre notre confort et notre mobilité. Ce refus global se reflète jusque dans le vêtement: combien de gens s'habillent réellement en fonction du temps qu'ils vont affronter, dehors?

Pourtant, ici à tout le moins, l'hiver ne produit à peu près jamais de véritable cataclysme. Le seul dont on se souvienne est la crise du verglas de janvier 1998. En fait, cette crise fut à base d'eau insuffisamment gelée et de températures anormalement élevées, de sorte qu'on peut plaider qu'elle a été causée par un manque d'hiver!

Mais peu importe. Le traumatisme collectif fut tel que, 12 mois plus tard, l'anthropologue Bernard Arcand publiait Abolissons l'hiver!, un pamphlet à lire au coin du feu. Arcand disait précisément ceci: «L'hiver est dur, cruel, méchant, cher et menaçant parce que nous faisons semblant qu'il n'existe plus.»

Il fait frette, donc?

Les tuques, les mitaines, les écharpes et les chaussettes de laine ont été inventés pour ça. L'ours polaire, incroyablement emmitouflé, n'en est pas moins d'une rare élégance.

mroy@lapresse.ca