Même au plus creux de la vague, il ne faut jamais désespérer de l'Amérique : ses plus fidèles amis le savent et, atterrés par l'inanité de l'administration Bush, n'ont tout de même jamais perdu espoir. Or, si la tendance affichée au moment d'écrire ces lignes se maintient (une très forte avance de Barack Obama au niveau des Grands Électeurs, bien qu'étroite en termes de vote global), la population des États-Unis aura vraiment écrit une nouvelle page de son histoire.

Pour ce faire, elle aura vaincu cette sorte de racisme qui ne dit pas son nom, un mal affligeant toutes les sociétés mais qui, bien sûr, avait en terre américaine des racines historiques particulières. Elle se sera débarrassée de la peur qui la tenaillait depuis un certain 11 septembre, une peur exploitée sans vergogne par le pouvoir sous le règne républicain. Elle se sera ouverte à l'avenir, acceptant le défi, prenant le risque.

Dans le monde entier, la plupart l'espérait, l'attendait, s'y préparait. Malgré cela, maintenant qu'elle s'est vraiment produite, la victoire de Barack Obama paraît encore plus extraordinaire et plus lourde de sens.

Pour l'heure, c'est le symbolisme de l'affaire qui prédomine - et aveugle jusqu'à un certain point.

Car, compte tenu des attentes presque irrationnelles qu'il a suscitées dans son pays et dans le monde, le président démocrate qui entrera à la Maison-Blanche en janvier décevra forcément. George W. Bush laissera à son successeur un pays à tous les points de vue dans un état lamentable, Obama héritant d'une tâche dont aucun homme ne viendrait complètement et parfaitement à bout.

Il lui faudra tout le talent, l'intelligence, le jugement, le charisme, qu'il possède déjà. Et beaucoup de chance, en plus.

Mais il a une base sur laquelle construire : aujourd'hui, personne ne voit plus les États-Unis de la même façon qu'hier.

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Barack Obama a remporté une autre victoire encore, plus discrète, mais aussi significative.

On a évoqué aux derniers jours de la campagne un goût nouveau pour le processus électoral chez les Américains, un regain de vie de la démocratie en termes d'inscription massive sur les registres électoraux et de participation forte au scrutin d'hier. Mais d'autres paramètres font de cette élection un événement inédit et valident, s'il en était besoin, la légitimité du président élu.

On pense par exemple à l'importance du financement populaire (beaucoup plus élevé que dans la plupart des autres démocraties: il a compté pour le tiers des dons) et au vote important des jeunes traditionnellement abstentionnistes (selon les prévisions, il dépasserait cette fois les 50%).

Dans les deux cas, il faut largement donner le crédit à Barack Obama et à la formidable machine qu'il a mise en place, rodée et pilotée depuis le premier jour des primaires.

Et il faut saluer bien bas l'internet, devenu un outil de rédemption démocratique...

En somme, on s'était habitué à rigoler ferme à la seule évocation de la «démocratie américaine». C'était oublier, là encore, la formidable capacité d'invention et de réinvention de ce peuple, qui étonne à nouveau le monde entier.