Le décrochage scolaire est l'un de ces problèmes sociaux qui ne seront jamais parfaitement résolus. Mais il a atteint au Québec de telles proportions qu'il est désormais entré dans la catégorie des problèmes lourds qui nécessitent une intervention urgente et substantielle.

C'est d'autant plus vrai que, sur le long terme, le décrochage aggrave la situation même qui en est la principale cause: la pauvreté. Et ce, dans une province qui est déjà l'un des territoires les plus pauvres de l'Amérique du Nord.

Au Québec, on compte 640 000 personnes de 20 à 64 ans aptes à travailler qui ne possèdent pas de diplôme.

Quant au taux actuel de décrochage, il est curieusement difficile à chiffrer de façon précise (les études divergent), mais il toucherait plus de 25% des élèves du secondaire et près de 50% d'étudiants du collégial. Il est beaucoup plus élevé dans certaines écoles des quartiers défavorisés.

Et la situation est ponctuellement aggravée non seulement par la pauvreté, mais par les dysfonctionnements familiaux, la monoparentalité, les problèmes personnels et sociaux vécus par les enfants dès le plus jeune âge, les failles du milieu scolaire.

Le week-end dernier, l'économiste Pierre Fortin a fait la démonstration des coûts économiques directs de l'abandon scolaire. Ils seraient d'un demi-million de dollars par individu lancé sur le marché du travail sans diplôme et ils s'établiraient à 4 milliards de dollars par année pour l'ensemble de la société.

Aussi préoccupant est le fait, déjà mis en lumière par Emploi Québec, que 1,3 million d'emplois seront créés au cours des huit prochaines années et devront trouver preneurs. Or, la proportion de ces postes nécessitant un diplôme d'études supérieures augmente presque cinq fois plus vite que le taux de création d'emploi lui-même (67 contre 14% entre 1990 et 2002).

Tout cela agit comme un énorme frein sur le développement économique, rendant hermétique le cercle vicieux qui part de la pauvreté et y revient après un détour par le décrochage, le chômage et le sous-emploi. L'effet est particulièrement dévastateur dans les couches de la population qui auraient le plus besoin d'accéder à un niveau décent de richesse.

Et encore ne s'agit-il que du bilan économique du décrochage. Car celui-ci nourrit en outre toute une panoplie de drames humains et sociaux qui vont de l'analphabétisme fonctionnel à la dégradation de la condition masculine, les garçons étant davantage tentés de décrocher.

Aujourd'hui et demain, près de 300 intervenants participeront, près de Québec, à la première édition des Journées interrégionales sur la persévérance et la réussite éducative au Québec. Dans le même temps, a lieu dans la capitale nationale le Congrès pédagogique des enseignants du primaire.

Dans ce genre d'événements, la tentation est en général très grande de voir les problèmes sous un angle global, théorique, administratif, «éducatiocentrique», selon le mot de Jacques Roy, membre-chercheur à l'Observatoire Jeunes et Société (dans Le Devoir).

Une attention pratique aux initiatives locales - puisque certaines écoles ont réussi à faire baisser de façon importante le taux de décrochage - pourrait faire au moins autant de bien.

mroy@lapresse.ca