Les États-Unis ne seront plus jamais les mêmes. Ils n'accéderont plus jamais à un statut comparable à celui qui était le leur il y a un demi-siècle, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, arrivés qu'ils étaient alors au sommet de leur puissance. Puissance militaire, certes, mais aussi économique, industrielle, technologique. Et surtout, surtout, force morale. En octobre 1962, mis au courant par Washington de la présence de missiles soviétiques en sol cubain, Charles de Gaulle, qui n'était pourtant pas entiché des Américains, avait dit: «Je n'ai pas besoin de voir les photos (des missiles), la parole de M. Kennedy me suffit.»

Combien de temps faudra-t-il maintenant pour que la parole d'un président des États-Unis soit accueillie de cette façon, même par ses alliés?

 

Depuis cette époque, il s'est en effet passé deux choses au coeur de l'hyper-puissance.

D'abord, le temps a agi: le destin des empires est de décliner un jour. Chez les Américains, on a vu dès la guerre de Corée (puis, plus tard au Vietnam) leur appareil militaire se décaler par rapport à la réalité des nouveaux conflits. Leur économie est graduellement devenue de plus en plus dépendante du pétrole, des capitaux étrangers, de l'hyper-consommation, du crédit. Leur industrie et leur technologie sont soumises à une dure et brillante concurrence, en particulier asiatique.

Quant à leur ascendant moral... C'est le second malheur à s'être abattu sur les Américains: la pire présidence de leur histoire, qui aura saboté cet élément premier de la puissance d'une nation, s'aliénant même les amis les plus fidèles des États-Unis.

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Ils ne seront donc plus jamais seuls au sommet; aucun président ne sera capable de renverser le sens de l'histoire. Mais les États-Unis peuvent redevenir ce qu'ils sont profondément, une nation généreuse, audacieuse, courageuse. Surtout: morale et inventive.

«Le défi essentiel (du prochain président) ne consistera en rien de moins que redonner à la nation un sens du devoir et du courage, après une période de dérapage, de déclin et d'erreurs désastreuses», estime Richard Holbrooke, ex-ambassadeur américain à l'ONU (dans Foreign Affairs).

On a mille fois refait la liste d'épicerie qui attend le prochain locataire de la Maison-Blanche: mettre fin dans l'honneur à deux guerres; rebâtir une diplomatie de collaboration; réparer un capitalisme en panne; prendre le leadership de l'économie verte; recoudre un tissu social en lambeaux. Or, la clé de tout cela réside essentiellement dans deux choses: la reconquête de la droiture morale et la libération de l'intelligence innovatrice.

Ce n'est pas un hasard si le démocrate Barack Obama est attendu par le monde entier comme un sauveur, a-t-on vu, hier, dans La Presse: cet homme semble fait sur mesure pour cette double tâche.

Le cas échéant, il lui faudra aussi être un leader hors normes, sorte de croisement entre un Roosevelt, un Churchill, un Kennedy. Car c'est au coeur des Américains qu'il lui faudra s'adresser, de sacrifices qu'il lui faudra parler, le dépassement qu'il lui faudra prêcher.