Quels que soient les efforts déployés par les faiseurs d'images - ceux qui nous montrent Stephen Harper avec des bébés et Stéphane Dion avec des skis! - le regard que posent les électeurs sur les chefs de parti demeure d'une grande perspicacité. Fiable en économie, mais peut-être cachottier: c'est Stephen Harper. Proche des Québécois, mais loin du pouvoir: Gilles Duceppe. Versé en environnement, mais leader improbable: Stéphane Dion. Digne de confiance en général, sauf en économie: Jack Layton.

Ces portraits instantanés ont été peints par numéros, pour ainsi dire. Ils résultent en effet des chiffres dégagés par trois sondages (dont celui de Segma-La Presse de lundi dernier) et compilés par le quotidien montréalais The Gazette.Les images ainsi fixées sont minimalistes, mais elles contiennent l'essentiel.

Par exemple, qui peut nier que la grande faiblesse de Gilles Duceppe réside dans le fait que son parti, délesté de sa charge souverainiste, ne puisse en outre accéder au pouvoir? Cela a d'ailleurs fait grand bruit, hier, avec l'intervention de l'ex-ministre péquiste Jacques Brassard remettant précisément en question l'utilité idéologique et électorale du Bloc québécois.

D'autre part, confierait-on demain l'économie du pays à Jack Layton, aussi sympathique soit-il, devinant bien dans quelle direction il l'orientera? Est-il besoin d'être docteur en sciences politiques pour subodorer qu'il manque à Stéphane Dion, un homme brillant, les qualités qu'il faut pour exercer un réel leadership?

Et le principal aspect inquiétant de Stephen Harper n'est-il pas le flou artistique - pardon, enlevez le mot: artistique - qui entoure ses convictions religieuses, ainsi que l'espace qu'il leur donnerait dans la sphère publique s'il en avait le pouvoir?

Tout cela se sait. Mais, plus encore, tout cela se sent.

«Les gens n'écoutent pas avec leurs oreilles, mais avec leurs tripes. Si un politicien parvient à établir un lien viscéral avec l'électorat, celui-ci le suivra partout et ne chicanera pas sur les détails. Sinon, un politicien n'en finira plus de s'expliquer», écrit (parlant d'une autre course électorale) Thomas Friedman dans le New York Times. Il s'agit peut-être de la principale source de l'incompréhension, de la part des élites, du comportement électoral des masses laborieuses.

Et c'est peut-être pourquoi on insulte celles-ci lorsque, ici ou ailleurs, elles refusent de suivre le chemin que, d'en haut, on les somme d'emprunter. Ailleurs, ceux qui voteront pour les républicains sont des «rebuts de race blanche (white trash) ruraux et illettrés», tranche une lettrée respectée (John McCain mène par trois à cinq points). Ici, un Québec qui voterait pour les conservateurs serait «d'un ridicule achevé et d'une inculture incroyable», tonne un monument de la culture (Stephen Harper mène par 18 points au Canada).

Or, les insultes prennent aux tripes, elles aussi. Elles ont un sens - en général associé au mépris - que, d'instinct, tout prolétaire comprend parfaitement. Exactement comme il parvient à se faire une idée sur l'un ou l'autre candidat.